Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) de J. M. W. Turner : l’intensité du déclin

Quand on voit la toile Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) peinte par Joseph Mallord William Turner (The Fighting Téméraire, tugged to her last berth to be broken) exposée à la National Gallery à Londres on ne peut être que pris par l’émotion. On y perçoit des couleurs splendides, des contrastes saisissants, une allégorie des vieux héros qui ont fait leur temps et qui doivent laisser la place. Il y a dans cette toile qui dit « place aux jeunes ». Turner considérait cette toile comme sa favorite.

JMW Turner

Dans d’autres toiles J. M. W. Turner s’intéressait à la révolution industrielle. Sur ce blog nous avons déjà eu l’opportunité de revenir sur la thématique de la sublimation esthétique du progrès technique chez le peintre dans l’une de ses toiles (cf. Pluie, vapeur, et vitesse : sublimation esthétique de l’âge industriel). Ce thème de la révolution industrielle se trouve également dans sa toile Staffa et Le château de Douvres.

Staffa

Or dans cette toile qui nous interroge, le peintre nous renvoie à la fin d’un monde – celui des batailles maritimes. Le navire de ligne HMS Téméraire est un vétéran de la bataille de Trafalgar entre l’Amiral Nelson et Napoléon. On a envie de lui dire : va au port vieux, tu as fait ton devoir. Mais, en analysant cette toile on a l’impression que Turner parle de lui-même, et de son propre déclin. Cette forte intensité qui ressort de la toile est peut-être à l’image des sentiments puissants qui traversent l’esprit du peintre qui ressent son propre déclin.

I. L’intensité du déclin

Inspiré par le Traité des couleurs (1810) de Goethe, Turner s’attache à respecter le triangle des couleurs. Le triangle des couleurs repose sur l’idée simple en apparence que la couleur est obscure. Partant, elle est un éclaircissement du noir. Cette approche vise à faire surgir une impression de jeu de couleur reposant sur les couleurs primaires : le jaune pour le soleil et le bleu pour la mer. Il y a « intensification » pour Goethe. Il y a une dynamique qui permet de faire surgir la vérité de la couleur.  C’est la recherche de cette intensification qui rend au tableau son harmonie. Turner est véritablement à son apogée. Les couleurs de la toile sont parfaites. Chaque partie de la scène est parfaite. La structure du tableau ne pourrait être plus réussie.

Sur le côté gauche de la toile on y compte cinq bateaux, et sur le côté droit seuls des éléments naturels sont présents. La dominante des couleurs est le bleu/jaune. La compression de ces couleurs rend une très forte intensité. La condensation des nuages avec le soleil domine la toile comme le haut du triangle des couleurs de Goethe. L’horizon n’a l’air guère avenant par obscurcissement du bleu sur un blanc très pâle. On a donc des couleurs froides à gauche, et à côté du Téméraire.

Le Téméraire est abandonné sur la gauche quand le déclin semble occuper tout l’espace de la toile. La beauté du bateau face au remorqueur vieilli.

II. Un tableau en forme d’adieu

L’adieu aux armes. C’est ainsi que Turner signe la fin de sa gloire. Il se sait en haut de sa gloire, donc il s’en va. Quelques années plus tard, vers 1846, le peintre se retire de la vie publique et prend un pseudonyme, Mr. Booth.

Aussi, ce tableau est une forme d’héritage. Il laisse une impression de très forte intensité, et de parfaite maîtrise des couleurs. Chaque partie de la toile est un savant dosage de stupeur, de richesse, et de subtilité. Cette coloration ocre, nacrée, atmosphérique, dans le parfait respect des prescriptions de Goethe va largement inspirer les impressionnistes.

On a pu qualifier Tuner de peintre des incendies tellement ses paysages devenaient aérien. Il n’en demeure pas moins un grand talent, et il fut considéré comme le précurseur de l’abstraction lyrique.

Analyse du film Les sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick : la guerre, les individus et les héros

Les sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick est tiré du roman de Humphrey Cobb Paths of Glory. Ce film nous ramène dans la violence de la première guerre mondiale de 1914 à 1918. C’est surement l’envie de Kirk Douglas de jouer le rôle du Colonel Dax qui a donné la confiance au studio de financer en partie le film.

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La guerre de 1914-1918 commence à s’enliser, et l’état-major décide de lancer une contre-offensive sur la colline aux fourmis qui a quasiment aucune chance d’aboutir. Cela ressemble terriblement à l’offensive du Général Nivelle dans le chemin aux dames qui coûta la vie à de nombreux soldats français en pure perte. Le 701ème régiment commandé par le Colonel Dax est repoussé par le feux allemand. Il se replie en base arrière.

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Le général Mireau qui est le stratège de ce plan d’attaque décide de faire exécuter des soldats tirés au sort pour les traduire devant un conseil de guerre pour procéder à leur exécution. Le général Mireau considère que ces soldats ont été lâches, et il veut en faire un exemple pour la suite. Le Colonel Dax s’y oppose fermement, et delà né un conflit entre les deux hommes. Trois hommes sont ainsi exécutés. Le Colonel Dax décide de s’expliquer avec le chef d’état-major, le général Broulard en lui apportant la preuve que le général Mireau a fait tirer sur sa propre armée en pleine offensive. Le général Broulard révoque le général Mireau et propose au Colonel Dax le poste de ce dernier.

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Le Colonel Dax qui est habité par l’idéalisme des justes refuse la proposition qui lui est faite.

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Le roman de Humphrey Cobb Paths of Glory (1935) a été rédigé au moment même où des soldats français exécutés pendant la guerre de 1914-1918 venaient d’être réhabilités.

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En France ce sont près de 2 000 soldats qui ont été fusillés pour l’exemple par l’armée pour avoir reculé sous le feu ennemi. Le général Revilhac est connu pour avoir fait tirer au sort des soldats de son régiment pour les exécuter. Dans l’absurdité de la guerre, des soldats ont même été réanimés pour les conduire au peloton d’exécution.

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Dans ce troisième film que réalise Stanley Kubrick, on peut noter l’utilisation de la caméra subjective qui amplifie l’intensité de la violence contre les soldats, le champ-contrechamp qui démultiplie les effectifs de soldats, des plans d’ensemble qui met en évidence l’horreur de la guerre. La caméra objective montre le champ de bataille pendant que la caméra subjective montre les soldats perdus dans les tranchées. On semble parfois être dans la peau d’un Fabrice Del Dongo sur les champs de batailles napoléoniens. Le jeune Fabrice semble presque étranger au spectacle qu’il contemple. Stendhal dans La chartreuse de Parme ne voit que du fatum dans l’esprit de Fabrice, contrairement au Colonel Dax qui s’est fait son jugement moral sur les événements dont il est le témoin. Le Colonel Dax semble d’ailleurs nous dire : pourquoi la guerre ?

Un film contre l’état-major français

Stanley Kubrick a voulu, à travers la tragédie de la violence, démontrer l’horreur de l’homme et l’absurdité de la logique militaire. L’état –major français durant la guerre de 1914-1918 a eu un comportement très critiquable, et critiqué. Ils ont mené une guerre où l’homme était la chair du canon. Le comportement de généraux comme Revilhac ou Nivelle a été fortement critiqué. Ils se sont comportés sans considération pour la vie des hommes qu’ils commandaient.

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C’est un film sur l’injustice. On ne voit jamais les soldats se battre les uns contre les autres. On voit des obus qui tantôt frappent une tranchée avec la force d’un éclair. L’injustice c’est la mort aléatoire des soldats, mais aussi le sort tragique de l’homme. L’ordre des soldats repose sur leur rapport à la mort et à leur faculté d’en faire abstraction.

Individus et lieux

Il y a une véritable volonté de Stanley Kubrick de jouer sur l’effet de contraste. Les militaires les plus gradés évoluent dans une ambiance de luxe. Ils vivent et travaillent dans un château. Leurs diners sont de très grandes factures. Ils semblent ne manquer de rien. Ils portent haut, et on sent qu’ils viennent dans milieu social favorisé.

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Cet effet de contraste est accentué par les plans très larges dans le château de l’État-major, et les plans serrés en travelling dans les tranchées pour les soldats. Le Colonel Dax qui dispose d’une grande chambre fait remarquer qu’elle est « petite » par rapport à celle des autres officiers supérieurs de l’État-major. Il est le seul officier supérieur à faire l’intermédiaire entre les deux mondes, et les deux espaces. Il parle aussi bien au général Broulard qu’aux soldats du rang. On sait qu’il est avocat. C’est un idéaliste. Le chef d’État-major est un cynique qui ne prend en compte que son intérêt propre. Le cynisme ne se retrouve qu’en haut lieu. Le Colonel Dax qui visite souvent les tranchées ne peut comprendre ce cynisme quand il est au prise avec cette réalité.

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Il y a une dissociation lieu/sentiment et lieu/individu. Cette effet d’opposition renforce la critique sociale et l’hypocrisie bourgeoise de la première guerre mondiale.

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Individus et héros

Les vrais héros du film sont ceux qui ont l’honneur de la caméra de Stanley Kubrick. Ce sont les soldats perdus dans la masse informe de la guerre. Ceux-là n’ont pas d’existence propre, ni de nom pour les nommer. Ce sont des individus et rien d’autre. Ils n’existent qu’en collectivité ; jamais pour eux. Cela ne fait rien au général Broulard ou au général Mireau de savoir qu’ils vont mourir. Ils pensent que ceux sont eux les héros, mais ils ne sont rien.

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Stanley Kubrick a bien voulu les montrer comme ils sont. Cela explique son jeu de caméra pendant toute la partie du film relative à l’offensive.

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Les sentiers de la gloire est un film sur les individus face à la guerre. Il s’agit de montrer une réalité sociale cruelle, mais qui a existé. Kirk Douglas avait dit à Stanley Kubrick que ce film n’allait pas rapporter d’argent, mais qu’il fallait faire. L’envie de Kirk Douglas de faire ce film avait donner la confiance au studio de réaliser le film. Ce fut le premier succès de Stanley Kubrick qui devint célèbre suite à ce film.

Pourquoi la robe Mondrian ?

En 1965, Yves Saint Laurent présente lors de la collection automne-hivers 1965 une robe dite « Hommage à Mondrian ». Cela fait à peine trois années que le créateur a ouvert sa propre maison, et ce défilé va le rendre célèbre dans le monde entier. On l’appelle le « roi de Paris ». Il est de toutes les soirées, de toutes les mondanités, et du tout Paris. Il est vrai que durant toute sa carrière artistique, Yves Saint Laurent a revendiqué que la couture était un art appliqué, et qu’il cherchait à donner un contenu proprement artistique à ses créations. Il décide d’utiliser des inspirations diverses : des peintres ou des villes par exemple. Les créations d’Yves Saint Laurent vont puiser leur origine chez Delacroix, Ingres, Vermeer, Van Gogh et Braque. Des lieux, et des voyages imaginaires sont aussi une source précieuse de création : la Chine, le folklore russe, l’Afrique et le Tyrol autrichien.

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La robe Braque a connu un certain succès, de même que la collection de robes Bambara a eu un véritable retentissement. Yves Saint Laurent est connu pour son smoking, la robe saharienne ou le tailleur pantalon. Mais, ces créations n’ont rien de comparable avec le charme de la robe Mondrian. Pourquoi ?

Le contexte

Le milieu des années 1960 ce sont les années fondatrices de la maison Saint Laurent, et de la nouvelle vision conceptuelle de la femme qu’il développe. Il décide de prendre les codes en sens inverse. Il veut choquer, et casser cette vision étriquée de la mode pour milliardaire. Ces créations seront simples, et pourront être portées par une femme qu’il veut incarner et moderne. On le sent au regard, cette femme aura les cheveux en carré, et elle travaillera. Elle fumera, et sera libre. Cette robe Mondrian elle semble manifester ce désir nouveau d’une modernité enfin assumée par la mode. À l’image d’une société engoncée qui change, le créateur se veut porteur d’une vision différente.

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En 1966, Yves Saint Laurent donne vie à la collection Pop’Art en « Hommage à Andy Warhol ». Mais, cette collection est noyée par les autres pièces sur Lichtenstein et Wesselmann. Cette année-là, l’élément marquant de la carrière d’Yves Saint Laurent, c’est l’ouverture de sa boutique rive gauche et surtout son premier smoking. L’année suivante, en 1967, la collection dite africaine s’inspire de matériaux rarement utilisés dans la mode, à savoir le bois, le raphia, les coquillages ou les perles. Cette mode semble faire moins mode. De même la collection Pop’Art semble faire moins mode qu’art. L’univers de ces artistes est tellement puissant et connu du grand public, qu’il n’y a pas de traces du génie d’Yves Saint Laurent. En voyant des motifs inspirés d’Andy Warhol, les acheteurs préfèrent acheter des toiles plutôt que des robes.

La magie de la robe Mondrian, c’est que Saint Laurent l’a faite sienne. Il a dépossédé le peintre à son profit. Chaque créateur s’inspire des tendances, de l’art du moment et des couleurs de ses voyages, mais là le talent de Saint Laurent a été d’exhumer un artiste déjà décédé depuis 20 ans, et de reprendre ce qui a fait sa force.

Puissance visuelle et simplicité des codes

Pieter Mondrian est connu pour être un pionnier de l’abstraction utilisant un langage abstrait pour faire surgir sa vision de l’univers et de l’infini. Dans cette mouvance on retrouve les peintres russes Kandinsky et Malevitch. Mondrian a cherché à faire parler une vérité désolée en poussant l’épuration des lignes jusqu’à une forme de transcendance du paysage. Cette abstraction minimale suit un chemin géométrique simple, des lignes épurées, et des couleurs identifiables. Cette simplicité des codes va rejaillir dans une très forte puissance visuelle et un style personnel inimitable.

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Il écrit début 1914 à son ami Bremmer : « Je crois qu’il est possible, grâce à des lignes horizontales et verticales construites en pleine conscience, mais sans ‘‘calcul’’, suggérées par une intuition aigüe et nées de l’harmonie et du rythme, que ces formes fondamentales de la beauté, complétées au besoin par d’autres lignes droites ou courbes, puissent produire une œuvre d’art aussi puissante que vraie ». Il s’agit pour Mondrian de faire apparaître « une beauté générale ».

À partir de 1920 Mondrian souhaite s’abstraire de toute réalité matérielle au profit de l’essence du sujet étudié. Il revient à l’état primaire de la nature : les droites, les angles, le rouge, le bleu et le jaune. Il se sert du noir comme d’un liant pour structurer géométriquement ses œuvres. On entre ainsi dans une conception spirituelle de l’art où les formes donnent çà voir une vérité absolue. En jouant sur les variations et les différentes épaisseurs de trait, c’est la vie qui est mise en scène sur ses toiles. En jouant sur ces nuances, il raconte l’histoire de la vie, des hommes et des femmes, mais aussi de l’univers et de la mort. Ces nouvelles idées picturales et artistiques vont se nommer le néo-plastique.

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En analysant la robe Mondrian on retrouve les artifices qui ont fait le succès de du peintre.

La forme de la robe interpelle. Elle n’est pas engoncée. Elle est sobre. Elle n’est pas prétentieuse. En comparant avec des robes dessinées et conçues la même année, elle tranche par son modernisme radical. Les angles droits, les couleurs simples, la géométrie à l’œuvre apportent une connotation très chic à la robe. Elle porte une très forte identité visuelle.

Elle est devenue un classique de la couture car cette simplicité apparente cache une puissance visuelle très forte. Et cette puissance visuelle a rendu cette robe unique. La force de l’abstraction, c’est qu’il s’agit avant tout d’une représentation de l’univers et que chacun peut s’en faire son propre avis. Quand on la voit, on a envie de l’acheter et de la porter. Et cette magie qui opère n’est pas totalement rationnelle.

Analyse de Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick : « Un siècle de barbarie commence… »

La figure d’Alex DeLarge, l’homme dynamite fossoyeur et victime de l’hypocrisie de la morale bourgeoise

« Un siècle de barbarie commence, et les sciences seront à son service ». Si les propos de F. Nietzsche dans Par-delà bien et mal anticipent avec profondeur le siècle qui vient de s’écouler, il s’agit d’un aphorisme à valeur de sagesse tragique. Le film Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick est l’illustration cinématographique la plus parfaite de ce siècle de barbarie. Son personnage principal, Alex DeLarge, est un mélange éruptif et sans pitié d’individualisme poussé jusqu’à son paroxysme et d’une volonté de changer l’ordre de la société.

Comme souvent dans ses films Stanley Kubrick évoque un certain nombre de thème philosophique et moraux. Dans Orange mécanique les thèmes de la dualité, du bien, du mal, et de la dérive totalitaire des sociétés post-modernes. Alex DeLarge suit le cheminent de l’homme dynamite dans l’oeuvre nietzschéenne. Il part de sa conception de la société pour être transformé par la dialectique du bien et du mal elle-même renversée par l’opposition maître/esclave qui va produire un renversement de la signification donnée au bien et au mal. Qu’est-ce à dire ? C’est ce que Nietzsche appelle le bon et le méchant par opposition avec le bon et le mauvais. Alex DeLarge va évoluer du mauvais vers le méchant pour aboutir par sa mutation totale en être désiré par la société socialiste et conservatrice qui l’a transformé. A la fin du film quand il affirme « Oh oui. J’ai changé pour de bon », on comprend qu’il a muté dans une sorte de nouvelle éthique sans que l’on comprenne qui du sociopathe ou de l’homme brisé a survécu. Qui est vraiment Alex DeLarge ?

Dans une société d’anticipation futuriste, sans trop l’être, le réalisateur plonge sa caméra dans la vie d’un groupe nommé les « droogs », en référence au russe droug (l’ami), qui est mené par un sociopathe Alex DeLarge. Ce dernier aime le sexe, la violence et la symphonie n°9 de Beethoven qu’il nomme Ludwig Van. Lui et ses amis boivent du lait le moloko plus, comme en russe. Ils s’expriment dans un argot anglo-russe. Cette nouvelle expression s’appelle le nadsat selon Burgess, l’auteur du livre Orange mécanique. Ce néologisme n’est pas sans rappeler le novlang de Georges Orwell dans 1984.

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Une nuit de violence commence. Alex DeLarge commence par passer à tabac un vagabond dans la rue. Lui et ses droogs se rendent chez un écrivain qu’ils martyrisent, et dont Alex finit par violer la femme dans la plus grande cruauté en chantant Singing in the rain.

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Mais son leadership est remis en cause par ses droogs car ils réclament une meilleure répartition de leurs vols. Pour se prémunir de la moindre contestation, il jette ses droogs dans le canal sans le moindre remords. Nietzsche expliquait dans Par-delà bien et mal que L’homme supérieur ne tient pas à être compris trop facilement. Surtout de la part de ses prétendus « bons amis ». L’homme supérieur trouve dans l’autre la part de médiocrité qu’il refuse d’assumer pour lui-même. En voulant se hisser au niveau de leur maître en souhaitant une répartition plus équitable de leur butin, les droogs ont précipité leur chute.

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Et là, un soir, dans une nuit d’ultra violence où se déchainent le sexe et la brutalité, les événements déferlent dans la furie et conduisent plus tard à la mort de la « riche femme aux chats » qui est assommé par un phallus géant qu’Alex DeLarge a trouvé dans le manoir de la dame. Sauf que celle-ci décède et Alex DeLarge est condamné à 14 ans de prison.

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Pour tenter de sortir rapidement de prison, il accepte de devenir l’objet d’une expérience scientifique, la méthode Ludovico, qui vise à démontrer que l’homme peut changer. Le ministre de l’intérieur supervise directement cette expérience sans tenir compte de l’avis d’un scientifique qui dans un moment de bon sens lui explique qu’il n’y a pas de changement de l’homme sans choix. A la suite de cette expérience il devient la victime de ses anciennes victimes. Une fois qu’ils se rendent compte de sa faiblesse ils en profitent pour se tourner contre lui.

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Cette volonté de changer l’homme s’appuie sur le behaviourisme qui est un concept tiré d’un livre de Burrhus Skinner Par-delà la liberté et la dignité. Il s’agit pour l’auteur de souhaiter le renforcement de l’efficacité de la nature de l’homme, de démontrer que son comportement peut évoluer par l’intervention de la société. Si le titre de son ouvrage n’est pas sans rappeler celui de Nietzsche Par-delà bien et mal, ce n’est pas un hasard. En effet, Nietzsche voit dans le monde sans volonté que les pulsions, et la violence. C’est ce qu’il appelle le monde mécanique. C’est le cas d’Alex DeLarge, il reste enfermé dans ce monde mécanique.

Le behaviourisme cherche à rendre à l’homme sa fonction purement utilitaire et sociale dans l’objectif de faire naître une société nouvelle. Pour Hannah Arendt, les systèmes totalitaires se caractérisent quand « les hommes, dans la mesure où ils ne sont plus que la réaction animale et que l’accomplissement de fonctions, sont entièrement superflus pour les régimes totalitaires. Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont de trop. La tentative totalitaire de rendre les hommes superflus reflète l’expérience que font les masses contemporaines de leur superfluité sur une terre surpeuplée […] une usine à fabriquer quotidiennement de l’absurde« . « Les solutions totalitaires peuvent fort bien survivre à la chute des régimes totalitaires, sous la forme de tentations fortes qui surgiront chaque fois qu’il semblera impossible de soulager la misère politique, sociale et économique d’une manière qui soit digne de l’homme« (Les origines du totalitarisme). C’est exactement dans cet univers que semble plonger Alex DeLarge. Une société à la fois socialiste par sa volonté de contrôler les hommes par la cohésion de la masse à travers des structures, et conservatrice par les valeurs véhiculées d’ordre et de sécurité.

En y regardant de plus près il est effrayant. Avec son costume blanc de joueur de cricket monté d’une coquille, son chapeau melon et sa canne, tout est fait pour lui donner une impression de dynamite. Son vocabulaire argotique, son arrogance, son individualisme, son absence d’apathie pour ses droogs en font un anti-héros de culture populaire par excellence car il est viscéral et radical à la fois.

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Il finit en regardant son audience qui croit l’avoir totalement transformé, mais au fond de lui la musique de Beethoven et ses fantasmes pornographiques ne sont devenus qu’un. Reste à savoir laquelle de ses personnalités est morte. Dans ce décor de neige; de sexe et de voyeurisme, on retrouve les prémices de la mise en scène de l’orgie dans Eyes Wide Shut (1999).

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On a souvent dit qu’Orange mécanique était la représentation du monde moderne. En réalité, c’est une pensée simpliste. La figure d’Alex DeLarge est justement trop large pour être parfaitement analysée. Pendant le film, il est à la fois bourreau puis victime avant de devenir autre chose. Il ne représente pas la société ni une de ses dérives, mais tout simplement un électron sauvage et libre à la fois. Il représente l’ennui, la consommation, l’individualisme, le méchant, le paumé, l’obsédé compulsif, et l’objet de l’expérimentation.

Il faut en revenir à Nietzsche et à la sagesse tragique. Elle consiste à cesser de vouloir améliorer l’humanité, et à se contenter à prendre plaisir à ce spectacle, à se réjouir de ce spectacle, à aimer ce monde. Dans cette humanité sans retour, il faut se plier à une éthique par-delà bien et mal, en évitant toute dualité trompeuse. Ici, il n’y a pas de vérité sur la personnalité de Alex DeLarge, juste des moments d’état d’esprit.

Jules et Jim de François Truffaut (1962) : un film précurseur de l’individualisme post-moderne

Ce film adapté du roman éponyme de Henri-Pierre Roché en 1962 par François Truffaut est un film en avance sur son temps qui marque un renouveau du désir féminin. A l’époque de nombreux critiques avaient soulevé que le film de François Truffaut était un film relatant la seconde révolution sexuelle des femmes. Dans le même temps, François Truffaut expliquait que « Jules et Jim est un hymne à la vie et à la mort, une démonstration par la joie et la tristesse de l’impossibilité de toute combinaison amoureuse en dehors du couple ». La musique de Georges Delerue qui accompagne Le tourbillon met parfaitement en scène le thème de la dualité amoureuse et de la figuration des sentiments. A cette époque Jean-Luc Godard s’empare un avant la sortie de Jules et Jim de son héroïne, à savoir Catherine. Celle-ci est interprétée par Jeanne Moreau, certainement une vedette à l’époque. Elle se retrouve entre deux hommes, et ses sentiments qu’elle éprouve pour les deux amis vont les emporter irrésistiblement vers la mort après avoir vécu pleinement la vie. Ce film avait eu un véritable impact au temps de sa sortie. On voit même Jim expliquait une certaine vision du rôle de la femme, classique pour l’époque, mais parfaitement rétrograde aujourd’hui. En réalité, les moeurs ont tellement changé depuis 1962 que le film de Truffaut en est devenu désuet. Récemment, en regardant à nouveau Le mépris de Jean-Luc Godard, j’étais surpris de constater que le film n’avait pas vieilli. Pour cause, il décrivait un sentiment. Ici, le film prend le prétexte de ce trio amoureux pour relater les changements de moeurs de l’époque. Peut-on le dire, mais Jules et Jim est-il passé ?

I. La figure de Catherine, une héroïne individualiste qui résume à elle seule le vide de notre époque

Ce qui compte pour Catherine, c’est elle. Elle est belle, et elle crève l’écran, c’est exact.

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Elle est la figure structurelle du film, le pivot autour duquel tout le film repose. Le tourbillon de la vie tourne autour de son désir. Tantôt, le film est classique, statique, muet, l’époque désuète. Puis, soudain, elle arrive, elle parle, elle coupe la narration pour introduire une nouvelle vague.

D’abord, on la voit à bicyclette, puis en voiture, on la voit marcher, on la voit parler, on la voit aimer, puis elle en aime un autre, sans que cela nous choque autre mesure. Ce fameux tourbillon est en réalité une fausse désinvolture, un souffle esthétique étudié. Elle se comporte comme les gens beaux le font avec les gens moches, en leur faisant comprendre qu’ils ont de la chance d’être en leur compagnie.

Ensuite, elle se veut figure de l’amour libre, mais seulement. Ce qui est mis en scène, c’est une vision du monde contemporain qui allait surgir trente ans plus tard. Elle passe d’un amant à l’autre au gré de l’évolution de ses sentiments. Puis elle se fait quitter par Jim, car ils n’ont pas réussi à avoir d’enfants ensemble. On pourrait croire qu’il s’agit là d’une catharsis conservatrice, mais en réalité d’un comportement parfaitement actuel. Dans le monde post-contemporain tel qu’il était déjà décrit par Gilles Lipovetsky dans L’ère du vide (1983). Un monde vide où règne le plaisir du sentiment immédiat, sans donner la perspective du temps ou de l’histoire. Ce film donne à voir une femme qui ruine l’amitié masculine de deux amis pour la posséder, sans qu’elle ne leur donne jamais satisfaction, pour ensuite finir sans eux. On y voit le monde d’aujourd’hui où l’on quitte les personnes qui ne nous plaisent plus car les sentiments du moment le commande. Pourtant, les grandes oeuvres ne sont pas le fruit des contingences. Ce qui est vrai dans l’Histoire l’est aussi pour la vie. Construire, c’est se battre contre les sentiments contingents.

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Catherine, c’est le monde post-contemporain à l’oeuvre. Avec elle son cortège de beauté esthétique, de figures mouvantes, de monde instable, de mort et de dérèglement des sentiments que l’on appelle révolution sexuelle.

II. La fin d’un monde : la dialectique de la vie et de la mort

On oublie souvent de regarder ce film comme une fresque décrivant un monde qui se meurt, et un autre qui naît. Le sentiment de modernité nous revient toujours, alors que l’écran déroule une longue tragédie entre la France et l’Allemagne. Deux hommes, de deux nationalités se battent pour une femme. Ce ton léger du tourbillon, c’est aussi le calme avant la tempête.

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Il s’agit d’un moment de vérité entre deux guerres mondiales. Le corps calciné de Cathernine et Jim sont comme les charniers de l’horreur. Ce tourbillon qui emporte les nations par deux fois est un peu comme cet esprit que décrit Stefan Sweig dans Le monde d’hier. Souvenirs d’un européen (1941). Cet esprit cosmopolite dont parle Sweig dans ses souvenirs c’est un l’ambiance de Jules et Jim. Ce désastre dont il parle, c’est un peu la mort de nos protagonistes. Il y a quelque chose d’inéluctable dans ce film, et de misérable.

C’est un film qui ne rend pas triste, mais qui ne rend pas heureux. C’est un film sur la révolution sexuelle, mais seulement. Il s’agit d’une femme, Jeanne Moreau. D’une époque, celle de la mort d’une époque oisive. D’un certain ordre, celui de l’homme face à la femme. D’une vérité, celle de l’amour dévoilé. D’un rien romantique, en fait non. Sauf à voir la mort dans la vie.

Analyse du film « Le mépris » de Jean-Luc Godard (1963) : une histoire vulgaire et banale, un chef d’oeuvre (2/2)

II. Un chef d’oeuvre : éléments d’explication

Pour l’instant, il ressort de l’oeuvre de Jean-Luc Godard, que le Le mépris est le film que l’on retient le plus facilement avec A bout de souffle. Mais, il est surtout très aboutit dans son genre. D’une part, on y retrouve la musique de Georges Delerue, le générique parlé, les fesses de Brigitte Bardot, la voix de Jack Palance, la figure de Fritz Lang, ainsi que la présence même de Jean-Luc Godard comme l’assistant de Fritz Lang, tout concorde pour faire surgir une oeuvre surprenante.

A/ La musique de Georges Delerue

Quelle vie surprenante pour cet homme qui est né à Roubaix de mourir à Los Angeles après avoir composé pour les plus grands de François Truffaut à Ennio Morricone. La musique qu’il compose pour Le mépris demeure un air mondialement connu qui a surement contribué à rendre le film de Jean-Luc Godard célèbre. D’ailleurs, en 1995, la musique sera reprise pour devenir le thème du film Casino de Martin Scorsese. Cet air  reste associé à la mélancolie et l’expression d’un sentiment profond de changement dans la vie des protagonistes qui jouent.

B/ Les fesses de Brigitte Bardot véritable création de la femme

Vadim avait tenté d’offrir à Brigitte Bardot son rôle de premier plan. Il voulait faire d’elle une image d’une certaine femme et d’une certaine époque, mais sans lui rendre sa superbe. Louis Malle avait également tenté dans Vie Privée de lui donner une certaine allure sans y parvenir.

Si un jour Brigitte Bardot doit devenir une icône quand elle sera morte, elle le sera à l’image dece que Jean-Luc Godard l’aura fait. C’est lui qui a véritablement créé Brigitte Bardot, c’est lui qui lui a rendu sa vérité.

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Comment ne pas voir dans Brigitte bardot une femme nouvelle et qui a été créée par son réalisateur ?

Elle restera ainsi.

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C/ Fritz Lang, l’homme au coeur du film, la figure mythique vivante de Jean-Luc Godard

Sans Fritz Lang, il est certain que Jean-Luc Godard n’aurait pas pu faire le film qu’il désirait. Il n’aurait pas pu aller au bout de son oeuvre. Il le place dans le rôle d’une figure tutélaire et mythique au-dessus des hommes  et de leurs contingences. Paul et Camille ont leurs problèmes de couple, Jérémy Prokosch est obsédé par l’argent et sa puissance, mais Fritz Lang est obsédé par l’art. C’est lui donne au film sa vertu et son sens, et la direction de l’oeuvre même de Jean-Luc Godard qui cherche à démontrer le manifeste par lequel il entend réaliser des films.

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En jouant l’assistant de Fritz Lang, Jean-Luc Godard explique où il se situe par rapport à son maître. Cela ne veut pas dire qu’il se sent inférieur à lui, mais qu’il se voit dans son sillon.

En conclusion, il convient de voir dans Le mépris un chef d’oeuvre atypique. C’est le manifeste de Jean-Luc Godard aux choses de la vie, et à celles qui l’intéresse profondément. L’art, l’amour, la vie, en réalité de quoi d’autre pourrions parler ?

Analyse de La liberté guidant le peuple (1830), Eugène Delacroix : De poudre et de lumière (1/3)

I. De poudre et de lumière

Dans les temps difficiles, il est toujours utile de replonger dans l’Histoire, et de déchiffrer les grands actes fondateurs de la République française. Les thèmes politiques qui reviennent aujourd’hui le plus souvent comme l’arlésienne sont l’identité nationale, la nation, la définition de ce qu’est la France et de ses valeurs. Les réponses politiques et historiques qui sont apportées par les historiens, les philosophes et les politiques ne sont pas de nature à permettre de discerner le vrai du faux, ce qui fait partie de l’idéologie ou d’une vérité historique. L’histoire de la France est très complexe car elle se mélange avec l’Histoire, celle des siècles, des guerres, et de mouvements populaires. Une particularité de notre culture c’est qu’elle fut l’une des rares à porter dans son sein des artistes du génie d’Eugène Delacroix. Pour la première fois, un homme va peindre la liberté. L’utilisation de la figure allégorique n’est en soi pas nouvelle, mais la justesse de la représentation picturale de la Liberté guidant le peuple incarne l’aspiration de chaque citoyen à cette dynamique du temps, et cette avancée des institutions.

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Peinte par Eugène Delacroix en 1830, La liberté guidant le peuple s’impose de suite comme une oeuvre majeure de l’école romantique inspirée par les Trois glorieuses. Eugène Delacroix avait théorisé la fin des canons esthétiques de l’école classique, ce qui explique que cette toile fut à la fois un évènement politique et esthétique.

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L’évènement politique se situe au plus haut niveau de l’Etat. Le roi Charles X, frère cadet de Louis XVI est de plus en plus contesté. Le Prince Jules de Polignac succède à Martignac le 8 août 1829 comme Président du Conseil des ministres et ministre des affaires étrangères. Son arrivée aux affaires est le signe d’une réaction des ultra, c’est-à-dire des partisans de la monarchie absolue. Le Prince de Polignac qualifie son ministère de « Ministère de combat ». L’impopularité au sein des couches populaires est immédiate, et la contestation de la royauté est grandissante. L’année 1830, moins d’un an après l’arrivée aux affaires du ministère Polignac, les évènements se succèdent.

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Le 25 mai 1830, le roi ordonne l’expédition d’Alger pour espérer souder la nation autour de lui et ainsi emporter les élections parlementaires du mois de juin 1830. Dans une vingtaine de départements les élections sont reportées au mois de juillet. Le 14 juin 1830 le roi fait publier une proclamation contresignée par le Prince de Polignac pour tenter de renverser l’opinion en sa faveur. Les élections qui s’étalent de mi-juin à fin juillet 1830 renforcent le parti libéral. Les 221 députés deviennent 274, et les ultra sont moins de 180.

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Le roi Charles X refuse de nommer un ministre libéral. Il choisit l’épreuve de force avec le peuple. Le 25 juillet 1830 il signe les 4 ordonnances de Saint Cloud qui suspendent la liberté de la presse, dissolvent les collèges départementaux, restaurent le suffrage censitaire et appellent des collèges électoraux. Les 27, 28 et 29 juillet 1830 des émeutes surviennent dans Paris, et quelques jours plus tard Charles X abdique. C’est le début de la monarchie de Juillet, le Duc Louis-Philippe d’Orléans est proclamé roi.

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Dans ce contexte de poudre et de lumière, Eugène Delacroix prend le parti de ne pas prendre parti. Il reste spectateur des évènements. La Cour est un commanditaire important d’Eugène Delacroix, mais il développe une certaine sympathie pour les révolutionnaires de juillet. Il voit dans les Trois glorieuses un rappel de la Révolution française de 1789. Il est le témoin de ces affrontements très durs qui opposent le peuple de Paris avec la police du roi. Il décide de participer aux événements depuis son atelier. D’octobre à décembre 1830 il se met à peindre cette fresque monumentale de 260x325cm qui aujourd’hui est une oeuvre mondialement connue exposée au Musée du Louvre.

Le cimetière marin, Paul Valéry (1920)

C’est récemment lors du décès de l’un de mon voisin du dessus, que j’ai repensé à Paul Valéry. Depuis que je suis tout petit, mon grand père m’avait donné la passion de Paul Valéry. Lors de la cérémonie religieuse du décès de mon voisin, des vers du cimetière marin ont été récités, à l’image de la cérémonie de mon propre grand père. Nous avons oublié quel impact Paul Valéry a pu avoir pour la génération de nos grands parents qui aujourd’hui ont entre 85 et 95 ans. Je me souviens qu’en 2009 lors de son décès, mon cousin et moi avions récité Le Cimetière marin devant la baie de Trébeurden dans les Côtes d’Armor. Si les rivages du Cimetière marin de Paul Valéry sont ceux de Sète, les vers du penseur résonnaient formidablement sur nos rivages bretons.

Des amis bretons avaient trouvés une embarcation, et les hommes de la famille partirent en mer disperser les cendres du vieil homme. La mer était agitée, le ciel d’un gris très foncé, le bruit du bateau de pêcheur, la houle de la mer, et là, plus un bruit. Les vers qui furent récités par coeur de la bouche de deux enfants rendirent au monde son silence.

En voyant, l’hommage rendu à mon voisin, je n’ai pu m’empêcher de repenser à mon propre grand père, et de me réciter une fois de plus le cimetière marin : « Et quelle paix semble se concevoir, quand sur l’abîme un soleil se repose ».

Il serait long, très long de revenir sur la densité du poème, sur Paul Valéry, et sur son génie immense. Aujourd’hui, c’est le recueillement.

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Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
O récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux!

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir!
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.

Analyse du film « Le mépris » de Jean-Luc Godard (1963) : une histoire vulgaire et banale, un chef d’oeuvre (1/2)

I. Le mépris, un sentiment poétique d’un instant

Le mépris est un film de Jean-Luc Godard sorti en 1963. Jean-Luc Godard va transformer une historie banale, voire vulgaire, en transformant la narration habituelle du film hollywoodien, en intellectualisant le moment de la rupture amoureuse, en donnant une dimension mythologique à l’homme, et humaine aux dieux à travers la figure de Fritz Lang. Au-delà de ces thématiques, la mise en scène, les costumes, le lieu, et les dialogues sont une mise en abîme du cinéma sur lui-même.

D’abord, il s’agit d’un film sur le cinéma. Il y a une opposition frontale entre le cinéma hollywoodien, et la nouvelle esthétique proposée par Jean-Luc Godard. Il y a une séparation intellectuelle entre le film lui-même qui bouscule les schémas classiques de mise en scène pour interpeller le spectateur, et ce que propose Jérémie Prokosch (Jack Palance) en tant que représentant de la production cinématographique hollywoodienne. La double narration de la bande d’annonce en est le meilleur exemple. La voie d’une femme et celle d’un homme qui répète le même texte à la façon d’automate nous plonge dans une atmosphère singulière et même mal alésante.

Ensuite, un long flot parcourt le film à la façon d’une odyssée certes, mais aussi à la façon d’une unité où les lieux, les personnes, les symboles, et les dialogues sont indifférents les uns aux autres pour mieux donner à chuan une force propre. Une fois de plus, la bande d’annonce frappe par la force qui est donnée à des mots très simples : la tristesse, le revolver, l’écran.

Ainsi, Le mépris entre dans la catégorie des essais épistémologique et poétique. Beaucoup ont essayé de voir dans cette mise en scène la fin de la structure développée par Aristote dans Les poétiques. Sans entrer dans ces considérations techniques d’harmonie des lieux, des textes et des personnages, la dimension proprement mythologique bouleverse le champ de la narration, de la communication et renverse le sentiment amoureux. Il s’agit de montrer sur un film, un moment qui intervient en l’espace d’un instant, celui où Camille cesse d’aimer Paul. C’est ce sentiment qui vît tout du long du film.

A/ L’intellectualisation de la rupture amoureuse

Le film raconte d’abord l’historie d’un sentiment qui naît, et qui va se produire l’espace d’un instant : celui de la rupture amoureuse. Au commencement, il y avait cette passion qui surgit de façon très sensuelle dans la scène introductive : celle où Camille est allongée nue, demandant à recevoir l’amour de Paul.

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– « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » A qui s’adresse-t-elle en prononçant cette question ? Cette image est plus une interpellation, une provocation qu’une question. Le doute lentement qui entre dans le couple bien avant que ce soit le mépris. Il y a ici du vulgaire, et de la provocation. Le génie de Jean-Luc Godard, c’est de laisser la scène complètement occupée par une Camille nue tout du long de l’écran. Il n’y a pas besoin de dialogue, juste une image. La puissance de l’image en oeuvre. Il y a du génie dans cette audace.

Mais, le film prend du relief en se déplaçant, de la chambre vers les studios de cinecitta. Des studios de cinecitta vers la villa Malaparte à Capri.

 

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Le scénario de Moravia tient dans cette intertextualité présentée à l’écran entre le film L’odyssée, les personnages principaux le tout sous la figure de Frtiz Lang. Cette densité provoque une intellectualisation qui permet au film de prendre une dimension différente de façon à permettre au mépris de surgir.

B/ La dimension mythologique de l’homme

Dans ce monde en ruine, dans cette mythologie dont Fritz Lang apparaît comme l’homme orchestre, l’homme prend une dimension totale et une apparence à l’image des dieux.

 

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Les hommes deviennent les acteurs d’une odyssée qui les dépasse, et s’égarent un noeud sentimental qui semblent organiser par des forces qui les dépassent.

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Dans la poésie d’Homère, à l’image de la figure d’Achille, les femmes sont associées, à la souffrance, l’amour à la mort, et l’homme à la solitude.

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Ici, le retour sera sans cesse, éternel et trompé. Le mépris commence son chemin quand, la figure mythologique tombe,quand Paul abandonne la quête de Camille ne serait-ce que l’espace d’une balade en voiture.

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C/ Des dieux humains, mais figés dans une temporalité perdue

Les Dieux deviennent eux aussi des figures immobiles, des hommes perdus ans un lieu qui les dépasse, et face à un horizon qu’ils ne peuvent plus maîtriser.

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Ces statues figées, elles représentent le cinéma classique. Elles évoquent les héros d’un temps passé qu’il convient de dépasser. Elles jouent un rôle important tant dans L’odyssée de Fritz Lang que dans Le mépris de Jean-Luc Godard. Elles ont une double signification puisqu’elles renvoient à cette figure déchue de l’homme, et d’un certain cinéma. En combinant cette idée avec celle du couple Camille /Paul qui prend une dimension mythologique, on comprend que l’un est l’équivalent de l’autre.Image

Ce cinéma qui meurt, il ressemble à ce couple qui se perd pour finir détruit. Comme tout mythe.