Mr. Turner (film, 2014) : entre l’infini et rien, le ridicule.

Le biopic réalisé par Mike Leigh, Mr. Turner, sorti en 2014 est décevant. Il s’attache à présenter la partie la moins intéressante de la vie de Joseph Mallord William Turner, à savoir la fin. A cela s’ajoute le sous-emploi de Timothy Spall qui est engoncé dans un rôle de pure composition. On y voit un personnage qui bien qu’il soit un génie se comporte comme un misogyne du 19ème siècle.

Le film qui nous est donné à voir oscille entre l’infini et rien.

I. L’infini 

L’infini est bien sur présent tout du long du film. Il s’agit de l’Oeuvre de JMW Turner. Nous y voyons ses plus grandes toiles, ses plus grandes fresques. Son génie ressort de partout. Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il ressent, et tout ce qu’il peint est touché par une main divine.

Une fois de plus Le dernier voyage du téméraire (1839) se trouve pleinement glorifié. Il est là. Massif. Orgueilleux. Passé. Mais, on sent qu’en soit, il représente une oeuvre immense.

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L’infini, c’est aussi ce travail de recherche sur la lumière. Le film est une véritable recherche sur la lumière qui éblouit, et rend honneur au travail du peintre. Mr. Turner

La lumière emporte le regard vers un horizon pictural nouveau. On ne sait plus si le film est l’oeuvre ou si l’oeuvre est le film. C’est prétentieux de la part du réalisateur de vouloir entrer dans une confusion pareille, mais c’est irréprochable. _MrTurner

II. Le rien

Le reproche le plus triste que l’on puisse adresser à ce film est de deux ordres :

A. Il est très difficile de commenter le film lui-même, car il est long (2h50), et qu’il ne dit pas grand chose. Si JMW Turner est une personnalité atypique, et que la haute société de Londres raillait son tempérament singulier, ce n’est pas cette succession de grimaces forcées qui le fait ressortir avec finesse.

B. C’est délicat de faire un film de paysage. Ceux qui réussissent cet exercice s’y prennent de façon modeste et éclairée. Il ne tentent pas de confondre leur caméra avec le pinceau du peintre comme cet image on le réalisateur se prend pour l’artiste. On peut comprendre que Mike Leigh se satisfasse de son oeuvre cinématographique, mais il doit comprendre qu’il nous blesse en nous servant un film décevant.

Mr.-Turner-

 

 

 

 

 

Entre l’infini de l’artiste, et le rien de la médiocrité, parfois, le ridicule vient se loger.

House of cards, saison 3 bande d’annonce

House of cards, Season 3 Trailer

Finally the season 3 is coming up !

Analyse du film Les sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick : la guerre, les individus et les héros

Les sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick est tiré du roman de Humphrey Cobb Paths of Glory. Ce film nous ramène dans la violence de la première guerre mondiale de 1914 à 1918. C’est surement l’envie de Kirk Douglas de jouer le rôle du Colonel Dax qui a donné la confiance au studio de financer en partie le film.

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La guerre de 1914-1918 commence à s’enliser, et l’état-major décide de lancer une contre-offensive sur la colline aux fourmis qui a quasiment aucune chance d’aboutir. Cela ressemble terriblement à l’offensive du Général Nivelle dans le chemin aux dames qui coûta la vie à de nombreux soldats français en pure perte. Le 701ème régiment commandé par le Colonel Dax est repoussé par le feux allemand. Il se replie en base arrière.

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Le général Mireau qui est le stratège de ce plan d’attaque décide de faire exécuter des soldats tirés au sort pour les traduire devant un conseil de guerre pour procéder à leur exécution. Le général Mireau considère que ces soldats ont été lâches, et il veut en faire un exemple pour la suite. Le Colonel Dax s’y oppose fermement, et delà né un conflit entre les deux hommes. Trois hommes sont ainsi exécutés. Le Colonel Dax décide de s’expliquer avec le chef d’état-major, le général Broulard en lui apportant la preuve que le général Mireau a fait tirer sur sa propre armée en pleine offensive. Le général Broulard révoque le général Mireau et propose au Colonel Dax le poste de ce dernier.

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Le Colonel Dax qui est habité par l’idéalisme des justes refuse la proposition qui lui est faite.

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Le roman de Humphrey Cobb Paths of Glory (1935) a été rédigé au moment même où des soldats français exécutés pendant la guerre de 1914-1918 venaient d’être réhabilités.

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En France ce sont près de 2 000 soldats qui ont été fusillés pour l’exemple par l’armée pour avoir reculé sous le feu ennemi. Le général Revilhac est connu pour avoir fait tirer au sort des soldats de son régiment pour les exécuter. Dans l’absurdité de la guerre, des soldats ont même été réanimés pour les conduire au peloton d’exécution.

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Dans ce troisième film que réalise Stanley Kubrick, on peut noter l’utilisation de la caméra subjective qui amplifie l’intensité de la violence contre les soldats, le champ-contrechamp qui démultiplie les effectifs de soldats, des plans d’ensemble qui met en évidence l’horreur de la guerre. La caméra objective montre le champ de bataille pendant que la caméra subjective montre les soldats perdus dans les tranchées. On semble parfois être dans la peau d’un Fabrice Del Dongo sur les champs de batailles napoléoniens. Le jeune Fabrice semble presque étranger au spectacle qu’il contemple. Stendhal dans La chartreuse de Parme ne voit que du fatum dans l’esprit de Fabrice, contrairement au Colonel Dax qui s’est fait son jugement moral sur les événements dont il est le témoin. Le Colonel Dax semble d’ailleurs nous dire : pourquoi la guerre ?

Un film contre l’état-major français

Stanley Kubrick a voulu, à travers la tragédie de la violence, démontrer l’horreur de l’homme et l’absurdité de la logique militaire. L’état –major français durant la guerre de 1914-1918 a eu un comportement très critiquable, et critiqué. Ils ont mené une guerre où l’homme était la chair du canon. Le comportement de généraux comme Revilhac ou Nivelle a été fortement critiqué. Ils se sont comportés sans considération pour la vie des hommes qu’ils commandaient.

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C’est un film sur l’injustice. On ne voit jamais les soldats se battre les uns contre les autres. On voit des obus qui tantôt frappent une tranchée avec la force d’un éclair. L’injustice c’est la mort aléatoire des soldats, mais aussi le sort tragique de l’homme. L’ordre des soldats repose sur leur rapport à la mort et à leur faculté d’en faire abstraction.

Individus et lieux

Il y a une véritable volonté de Stanley Kubrick de jouer sur l’effet de contraste. Les militaires les plus gradés évoluent dans une ambiance de luxe. Ils vivent et travaillent dans un château. Leurs diners sont de très grandes factures. Ils semblent ne manquer de rien. Ils portent haut, et on sent qu’ils viennent dans milieu social favorisé.

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Cet effet de contraste est accentué par les plans très larges dans le château de l’État-major, et les plans serrés en travelling dans les tranchées pour les soldats. Le Colonel Dax qui dispose d’une grande chambre fait remarquer qu’elle est « petite » par rapport à celle des autres officiers supérieurs de l’État-major. Il est le seul officier supérieur à faire l’intermédiaire entre les deux mondes, et les deux espaces. Il parle aussi bien au général Broulard qu’aux soldats du rang. On sait qu’il est avocat. C’est un idéaliste. Le chef d’État-major est un cynique qui ne prend en compte que son intérêt propre. Le cynisme ne se retrouve qu’en haut lieu. Le Colonel Dax qui visite souvent les tranchées ne peut comprendre ce cynisme quand il est au prise avec cette réalité.

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Il y a une dissociation lieu/sentiment et lieu/individu. Cette effet d’opposition renforce la critique sociale et l’hypocrisie bourgeoise de la première guerre mondiale.

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Individus et héros

Les vrais héros du film sont ceux qui ont l’honneur de la caméra de Stanley Kubrick. Ce sont les soldats perdus dans la masse informe de la guerre. Ceux-là n’ont pas d’existence propre, ni de nom pour les nommer. Ce sont des individus et rien d’autre. Ils n’existent qu’en collectivité ; jamais pour eux. Cela ne fait rien au général Broulard ou au général Mireau de savoir qu’ils vont mourir. Ils pensent que ceux sont eux les héros, mais ils ne sont rien.

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Stanley Kubrick a bien voulu les montrer comme ils sont. Cela explique son jeu de caméra pendant toute la partie du film relative à l’offensive.

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Les sentiers de la gloire est un film sur les individus face à la guerre. Il s’agit de montrer une réalité sociale cruelle, mais qui a existé. Kirk Douglas avait dit à Stanley Kubrick que ce film n’allait pas rapporter d’argent, mais qu’il fallait faire. L’envie de Kirk Douglas de faire ce film avait donner la confiance au studio de réaliser le film. Ce fut le premier succès de Stanley Kubrick qui devint célèbre suite à ce film.

Analyse de Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick : « Un siècle de barbarie commence… »

La figure d’Alex DeLarge, l’homme dynamite fossoyeur et victime de l’hypocrisie de la morale bourgeoise

« Un siècle de barbarie commence, et les sciences seront à son service ». Si les propos de F. Nietzsche dans Par-delà bien et mal anticipent avec profondeur le siècle qui vient de s’écouler, il s’agit d’un aphorisme à valeur de sagesse tragique. Le film Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick est l’illustration cinématographique la plus parfaite de ce siècle de barbarie. Son personnage principal, Alex DeLarge, est un mélange éruptif et sans pitié d’individualisme poussé jusqu’à son paroxysme et d’une volonté de changer l’ordre de la société.

Comme souvent dans ses films Stanley Kubrick évoque un certain nombre de thème philosophique et moraux. Dans Orange mécanique les thèmes de la dualité, du bien, du mal, et de la dérive totalitaire des sociétés post-modernes. Alex DeLarge suit le cheminent de l’homme dynamite dans l’oeuvre nietzschéenne. Il part de sa conception de la société pour être transformé par la dialectique du bien et du mal elle-même renversée par l’opposition maître/esclave qui va produire un renversement de la signification donnée au bien et au mal. Qu’est-ce à dire ? C’est ce que Nietzsche appelle le bon et le méchant par opposition avec le bon et le mauvais. Alex DeLarge va évoluer du mauvais vers le méchant pour aboutir par sa mutation totale en être désiré par la société socialiste et conservatrice qui l’a transformé. A la fin du film quand il affirme « Oh oui. J’ai changé pour de bon », on comprend qu’il a muté dans une sorte de nouvelle éthique sans que l’on comprenne qui du sociopathe ou de l’homme brisé a survécu. Qui est vraiment Alex DeLarge ?

Dans une société d’anticipation futuriste, sans trop l’être, le réalisateur plonge sa caméra dans la vie d’un groupe nommé les « droogs », en référence au russe droug (l’ami), qui est mené par un sociopathe Alex DeLarge. Ce dernier aime le sexe, la violence et la symphonie n°9 de Beethoven qu’il nomme Ludwig Van. Lui et ses amis boivent du lait le moloko plus, comme en russe. Ils s’expriment dans un argot anglo-russe. Cette nouvelle expression s’appelle le nadsat selon Burgess, l’auteur du livre Orange mécanique. Ce néologisme n’est pas sans rappeler le novlang de Georges Orwell dans 1984.

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Une nuit de violence commence. Alex DeLarge commence par passer à tabac un vagabond dans la rue. Lui et ses droogs se rendent chez un écrivain qu’ils martyrisent, et dont Alex finit par violer la femme dans la plus grande cruauté en chantant Singing in the rain.

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Mais son leadership est remis en cause par ses droogs car ils réclament une meilleure répartition de leurs vols. Pour se prémunir de la moindre contestation, il jette ses droogs dans le canal sans le moindre remords. Nietzsche expliquait dans Par-delà bien et mal que L’homme supérieur ne tient pas à être compris trop facilement. Surtout de la part de ses prétendus « bons amis ». L’homme supérieur trouve dans l’autre la part de médiocrité qu’il refuse d’assumer pour lui-même. En voulant se hisser au niveau de leur maître en souhaitant une répartition plus équitable de leur butin, les droogs ont précipité leur chute.

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Et là, un soir, dans une nuit d’ultra violence où se déchainent le sexe et la brutalité, les événements déferlent dans la furie et conduisent plus tard à la mort de la « riche femme aux chats » qui est assommé par un phallus géant qu’Alex DeLarge a trouvé dans le manoir de la dame. Sauf que celle-ci décède et Alex DeLarge est condamné à 14 ans de prison.

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Pour tenter de sortir rapidement de prison, il accepte de devenir l’objet d’une expérience scientifique, la méthode Ludovico, qui vise à démontrer que l’homme peut changer. Le ministre de l’intérieur supervise directement cette expérience sans tenir compte de l’avis d’un scientifique qui dans un moment de bon sens lui explique qu’il n’y a pas de changement de l’homme sans choix. A la suite de cette expérience il devient la victime de ses anciennes victimes. Une fois qu’ils se rendent compte de sa faiblesse ils en profitent pour se tourner contre lui.

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Cette volonté de changer l’homme s’appuie sur le behaviourisme qui est un concept tiré d’un livre de Burrhus Skinner Par-delà la liberté et la dignité. Il s’agit pour l’auteur de souhaiter le renforcement de l’efficacité de la nature de l’homme, de démontrer que son comportement peut évoluer par l’intervention de la société. Si le titre de son ouvrage n’est pas sans rappeler celui de Nietzsche Par-delà bien et mal, ce n’est pas un hasard. En effet, Nietzsche voit dans le monde sans volonté que les pulsions, et la violence. C’est ce qu’il appelle le monde mécanique. C’est le cas d’Alex DeLarge, il reste enfermé dans ce monde mécanique.

Le behaviourisme cherche à rendre à l’homme sa fonction purement utilitaire et sociale dans l’objectif de faire naître une société nouvelle. Pour Hannah Arendt, les systèmes totalitaires se caractérisent quand « les hommes, dans la mesure où ils ne sont plus que la réaction animale et que l’accomplissement de fonctions, sont entièrement superflus pour les régimes totalitaires. Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont de trop. La tentative totalitaire de rendre les hommes superflus reflète l’expérience que font les masses contemporaines de leur superfluité sur une terre surpeuplée […] une usine à fabriquer quotidiennement de l’absurde« . « Les solutions totalitaires peuvent fort bien survivre à la chute des régimes totalitaires, sous la forme de tentations fortes qui surgiront chaque fois qu’il semblera impossible de soulager la misère politique, sociale et économique d’une manière qui soit digne de l’homme« (Les origines du totalitarisme). C’est exactement dans cet univers que semble plonger Alex DeLarge. Une société à la fois socialiste par sa volonté de contrôler les hommes par la cohésion de la masse à travers des structures, et conservatrice par les valeurs véhiculées d’ordre et de sécurité.

En y regardant de plus près il est effrayant. Avec son costume blanc de joueur de cricket monté d’une coquille, son chapeau melon et sa canne, tout est fait pour lui donner une impression de dynamite. Son vocabulaire argotique, son arrogance, son individualisme, son absence d’apathie pour ses droogs en font un anti-héros de culture populaire par excellence car il est viscéral et radical à la fois.

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Il finit en regardant son audience qui croit l’avoir totalement transformé, mais au fond de lui la musique de Beethoven et ses fantasmes pornographiques ne sont devenus qu’un. Reste à savoir laquelle de ses personnalités est morte. Dans ce décor de neige; de sexe et de voyeurisme, on retrouve les prémices de la mise en scène de l’orgie dans Eyes Wide Shut (1999).

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On a souvent dit qu’Orange mécanique était la représentation du monde moderne. En réalité, c’est une pensée simpliste. La figure d’Alex DeLarge est justement trop large pour être parfaitement analysée. Pendant le film, il est à la fois bourreau puis victime avant de devenir autre chose. Il ne représente pas la société ni une de ses dérives, mais tout simplement un électron sauvage et libre à la fois. Il représente l’ennui, la consommation, l’individualisme, le méchant, le paumé, l’obsédé compulsif, et l’objet de l’expérimentation.

Il faut en revenir à Nietzsche et à la sagesse tragique. Elle consiste à cesser de vouloir améliorer l’humanité, et à se contenter à prendre plaisir à ce spectacle, à se réjouir de ce spectacle, à aimer ce monde. Dans cette humanité sans retour, il faut se plier à une éthique par-delà bien et mal, en évitant toute dualité trompeuse. Ici, il n’y a pas de vérité sur la personnalité de Alex DeLarge, juste des moments d’état d’esprit.

Jules et Jim de François Truffaut (1962) : un film précurseur de l’individualisme post-moderne

Ce film adapté du roman éponyme de Henri-Pierre Roché en 1962 par François Truffaut est un film en avance sur son temps qui marque un renouveau du désir féminin. A l’époque de nombreux critiques avaient soulevé que le film de François Truffaut était un film relatant la seconde révolution sexuelle des femmes. Dans le même temps, François Truffaut expliquait que « Jules et Jim est un hymne à la vie et à la mort, une démonstration par la joie et la tristesse de l’impossibilité de toute combinaison amoureuse en dehors du couple ». La musique de Georges Delerue qui accompagne Le tourbillon met parfaitement en scène le thème de la dualité amoureuse et de la figuration des sentiments. A cette époque Jean-Luc Godard s’empare un avant la sortie de Jules et Jim de son héroïne, à savoir Catherine. Celle-ci est interprétée par Jeanne Moreau, certainement une vedette à l’époque. Elle se retrouve entre deux hommes, et ses sentiments qu’elle éprouve pour les deux amis vont les emporter irrésistiblement vers la mort après avoir vécu pleinement la vie. Ce film avait eu un véritable impact au temps de sa sortie. On voit même Jim expliquait une certaine vision du rôle de la femme, classique pour l’époque, mais parfaitement rétrograde aujourd’hui. En réalité, les moeurs ont tellement changé depuis 1962 que le film de Truffaut en est devenu désuet. Récemment, en regardant à nouveau Le mépris de Jean-Luc Godard, j’étais surpris de constater que le film n’avait pas vieilli. Pour cause, il décrivait un sentiment. Ici, le film prend le prétexte de ce trio amoureux pour relater les changements de moeurs de l’époque. Peut-on le dire, mais Jules et Jim est-il passé ?

I. La figure de Catherine, une héroïne individualiste qui résume à elle seule le vide de notre époque

Ce qui compte pour Catherine, c’est elle. Elle est belle, et elle crève l’écran, c’est exact.

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Elle est la figure structurelle du film, le pivot autour duquel tout le film repose. Le tourbillon de la vie tourne autour de son désir. Tantôt, le film est classique, statique, muet, l’époque désuète. Puis, soudain, elle arrive, elle parle, elle coupe la narration pour introduire une nouvelle vague.

D’abord, on la voit à bicyclette, puis en voiture, on la voit marcher, on la voit parler, on la voit aimer, puis elle en aime un autre, sans que cela nous choque autre mesure. Ce fameux tourbillon est en réalité une fausse désinvolture, un souffle esthétique étudié. Elle se comporte comme les gens beaux le font avec les gens moches, en leur faisant comprendre qu’ils ont de la chance d’être en leur compagnie.

Ensuite, elle se veut figure de l’amour libre, mais seulement. Ce qui est mis en scène, c’est une vision du monde contemporain qui allait surgir trente ans plus tard. Elle passe d’un amant à l’autre au gré de l’évolution de ses sentiments. Puis elle se fait quitter par Jim, car ils n’ont pas réussi à avoir d’enfants ensemble. On pourrait croire qu’il s’agit là d’une catharsis conservatrice, mais en réalité d’un comportement parfaitement actuel. Dans le monde post-contemporain tel qu’il était déjà décrit par Gilles Lipovetsky dans L’ère du vide (1983). Un monde vide où règne le plaisir du sentiment immédiat, sans donner la perspective du temps ou de l’histoire. Ce film donne à voir une femme qui ruine l’amitié masculine de deux amis pour la posséder, sans qu’elle ne leur donne jamais satisfaction, pour ensuite finir sans eux. On y voit le monde d’aujourd’hui où l’on quitte les personnes qui ne nous plaisent plus car les sentiments du moment le commande. Pourtant, les grandes oeuvres ne sont pas le fruit des contingences. Ce qui est vrai dans l’Histoire l’est aussi pour la vie. Construire, c’est se battre contre les sentiments contingents.

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Catherine, c’est le monde post-contemporain à l’oeuvre. Avec elle son cortège de beauté esthétique, de figures mouvantes, de monde instable, de mort et de dérèglement des sentiments que l’on appelle révolution sexuelle.

II. La fin d’un monde : la dialectique de la vie et de la mort

On oublie souvent de regarder ce film comme une fresque décrivant un monde qui se meurt, et un autre qui naît. Le sentiment de modernité nous revient toujours, alors que l’écran déroule une longue tragédie entre la France et l’Allemagne. Deux hommes, de deux nationalités se battent pour une femme. Ce ton léger du tourbillon, c’est aussi le calme avant la tempête.

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Il s’agit d’un moment de vérité entre deux guerres mondiales. Le corps calciné de Cathernine et Jim sont comme les charniers de l’horreur. Ce tourbillon qui emporte les nations par deux fois est un peu comme cet esprit que décrit Stefan Sweig dans Le monde d’hier. Souvenirs d’un européen (1941). Cet esprit cosmopolite dont parle Sweig dans ses souvenirs c’est un l’ambiance de Jules et Jim. Ce désastre dont il parle, c’est un peu la mort de nos protagonistes. Il y a quelque chose d’inéluctable dans ce film, et de misérable.

C’est un film qui ne rend pas triste, mais qui ne rend pas heureux. C’est un film sur la révolution sexuelle, mais seulement. Il s’agit d’une femme, Jeanne Moreau. D’une époque, celle de la mort d’une époque oisive. D’un certain ordre, celui de l’homme face à la femme. D’une vérité, celle de l’amour dévoilé. D’un rien romantique, en fait non. Sauf à voir la mort dans la vie.

Analyse du film « Le mépris » de Jean-Luc Godard (1963) : une histoire vulgaire et banale, un chef d’oeuvre (2/2)

II. Un chef d’oeuvre : éléments d’explication

Pour l’instant, il ressort de l’oeuvre de Jean-Luc Godard, que le Le mépris est le film que l’on retient le plus facilement avec A bout de souffle. Mais, il est surtout très aboutit dans son genre. D’une part, on y retrouve la musique de Georges Delerue, le générique parlé, les fesses de Brigitte Bardot, la voix de Jack Palance, la figure de Fritz Lang, ainsi que la présence même de Jean-Luc Godard comme l’assistant de Fritz Lang, tout concorde pour faire surgir une oeuvre surprenante.

A/ La musique de Georges Delerue

Quelle vie surprenante pour cet homme qui est né à Roubaix de mourir à Los Angeles après avoir composé pour les plus grands de François Truffaut à Ennio Morricone. La musique qu’il compose pour Le mépris demeure un air mondialement connu qui a surement contribué à rendre le film de Jean-Luc Godard célèbre. D’ailleurs, en 1995, la musique sera reprise pour devenir le thème du film Casino de Martin Scorsese. Cet air  reste associé à la mélancolie et l’expression d’un sentiment profond de changement dans la vie des protagonistes qui jouent.

B/ Les fesses de Brigitte Bardot véritable création de la femme

Vadim avait tenté d’offrir à Brigitte Bardot son rôle de premier plan. Il voulait faire d’elle une image d’une certaine femme et d’une certaine époque, mais sans lui rendre sa superbe. Louis Malle avait également tenté dans Vie Privée de lui donner une certaine allure sans y parvenir.

Si un jour Brigitte Bardot doit devenir une icône quand elle sera morte, elle le sera à l’image dece que Jean-Luc Godard l’aura fait. C’est lui qui a véritablement créé Brigitte Bardot, c’est lui qui lui a rendu sa vérité.

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Comment ne pas voir dans Brigitte bardot une femme nouvelle et qui a été créée par son réalisateur ?

Elle restera ainsi.

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C/ Fritz Lang, l’homme au coeur du film, la figure mythique vivante de Jean-Luc Godard

Sans Fritz Lang, il est certain que Jean-Luc Godard n’aurait pas pu faire le film qu’il désirait. Il n’aurait pas pu aller au bout de son oeuvre. Il le place dans le rôle d’une figure tutélaire et mythique au-dessus des hommes  et de leurs contingences. Paul et Camille ont leurs problèmes de couple, Jérémy Prokosch est obsédé par l’argent et sa puissance, mais Fritz Lang est obsédé par l’art. C’est lui donne au film sa vertu et son sens, et la direction de l’oeuvre même de Jean-Luc Godard qui cherche à démontrer le manifeste par lequel il entend réaliser des films.

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En jouant l’assistant de Fritz Lang, Jean-Luc Godard explique où il se situe par rapport à son maître. Cela ne veut pas dire qu’il se sent inférieur à lui, mais qu’il se voit dans son sillon.

En conclusion, il convient de voir dans Le mépris un chef d’oeuvre atypique. C’est le manifeste de Jean-Luc Godard aux choses de la vie, et à celles qui l’intéresse profondément. L’art, l’amour, la vie, en réalité de quoi d’autre pourrions parler ?

Analyse 2001, l’Odyssée de l’espace : circularité, technique et raison (2/3)

II. Circularité, technique et raison dans 2001, Odyssée de l’espace

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrivait Rabelais sur le nécessaire rapport de méfiance que l’homme doit entretenir avec la science. Le passage symbolique de l’os que tient à la main l’australopithèque qui se transforme en navette spatiale en est la meilleure illustration symbolique.

L'os et le vaisseau

L’os et le vaisseau

Le devenir de l’homme est-il nécessairement de chercher le progrès technologique ?

Il faut comprendre plusieurs chose avec le progrès :
– le progrès peut très bien se limiter à améliorer la qualité de notre vie en essayant de perfectionner des choses simples : les vaccins, le confort, la qualité de du son ou de l’image ;
– le progrès peut très bien être le perfectionnement du potentiel militaire ;
-le progrès technologique peut être de repousser les frontières : spatiales, technologiques, humaines.

Les scènes à l’intérieur de la navette internationale sont angoissantes, particulièrement dans un contexte de guerre froide. Le film a été tourné en 1967 pour être distribué en 1968.

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La navette est circulaire. Elle évolue dans un environnement lui-même circulaire puisqu’elle est entourée de planètes rondes. Plus intéressant encore, HAL 9000 – intelligence purement artificielle est présenté sous forme ronde et rouge, encerclé de d’une bande noire.

A/ La circularité inquiétante de l’Odyssée

L’Odyssée n’est pas une aventure. Elle suppose le retour au point de départ. Il ne s’agit pas d’une aventure de l’espace, mais d’une Odyssée. Le titre du film recèle cette circularité anaphorique du film : les planètes, la navette, la construction interne de la navette, HAL 9000 – tout semble rond.

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Pourtant, cette impression de rondeur est souvent brisé par un mouvement linéaire. C’est dans cette dualité que réside une autre partie de la réflexion de Kubrick.

Que veut dire la circularité chez Kubrick ?

Contrairement à ce que pense Shakespeare, l’Histoire a donc une logique chez Kubrick. L’auteur écrit : « raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et ne signifiant rien ». Ce qui n’est pas forcément dénué d’intérêt. Mais, chez Kubrick, on s’aperçoit que l’Histoire devient un objet d’étude, que l’Histoire se répète. Elle semble enfermée dans une logique plus grande qu’elle-même. Elle se répète, mais pas sous la même forme.

Le cercle c’est l’objet natal. Il s’oppose au monolithe, qui est l’objet créateur. Cette dualité est très prégnante chez Kubrick. Cette dichotomie est très claire : on voit le foetus sidéral encerclé par son alcôve céleste. On parvient à la fin du film et de l’Odyssée après un passage dans le mouvement stellaire. Celui-ci semble créer un nouveau cycle historique. Ce mouvement est rectiligne et non circulaire.

B/ HAL 9000 : l’Homme doit se penser en poète

En effet, Hal 9000 est un oeil, une pensée, un calculateur, et le prédicateur de l’avenir de l’Homme.

HAL 9000

HAL 9000

Nombre de commentaires ont été écrit sur HAL 9000. Il ne m’appartient pas de revenir dessus. On peut évoquer : la méfiance envers la technique, une réflexion glaçante sur l’avenir de l’Homme, la prise de contrôle de l’intelligence artificielle de la machine sur l’Homme. Certainement tout cela en même temps.

Néanmoins, quelque chose mérite d’être évoqué : c’est la tonalité de la voix de HAL 9000. Il s’exprime comme un enfant timide et autiste. Puis, dans ses réflexions se confondent une volonté de jouer à Dieu, et en même temps de se faire des amis. On dirait un enfant, puis un psychopathe. Le phrasé d’HAL 9000 vaut en réalité un long discours sur à quel point Kubrick avait peu de foi pour l’avenir de l’Homme sous l’influence de la technique.

Höderlin disait que l’Homme devait vivre en poète. Il doit aussi vivre en poète. HAL 9000 n’est pas le medium qui permet à l’Homme de communiquer avec une force supérieure; mais le fait que HAL 9000 soit à la fois un cercle et rectangle est une preuve de son antinomie. HAL 9000 est à la fois la vie et la mort. Il est le bourreau ou le sauveur. Il est celui sur qui toute l’expédition repose, et celui qui la fera échouer. C’est effrayant. Il semblerait donc que laissions notre avenir aux mains d’une entité que nous ne pourrions contrôler. Isaac Asimov a du apprécier.