Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) de J. M. W. Turner : l’intensité du déclin

Quand on voit la toile Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) peinte par Joseph Mallord William Turner (The Fighting Téméraire, tugged to her last berth to be broken) exposée à la National Gallery à Londres on ne peut être que pris par l’émotion. On y perçoit des couleurs splendides, des contrastes saisissants, une allégorie des vieux héros qui ont fait leur temps et qui doivent laisser la place. Il y a dans cette toile qui dit « place aux jeunes ». Turner considérait cette toile comme sa favorite.

JMW Turner

Dans d’autres toiles J. M. W. Turner s’intéressait à la révolution industrielle. Sur ce blog nous avons déjà eu l’opportunité de revenir sur la thématique de la sublimation esthétique du progrès technique chez le peintre dans l’une de ses toiles (cf. Pluie, vapeur, et vitesse : sublimation esthétique de l’âge industriel). Ce thème de la révolution industrielle se trouve également dans sa toile Staffa et Le château de Douvres.

Staffa

Or dans cette toile qui nous interroge, le peintre nous renvoie à la fin d’un monde – celui des batailles maritimes. Le navire de ligne HMS Téméraire est un vétéran de la bataille de Trafalgar entre l’Amiral Nelson et Napoléon. On a envie de lui dire : va au port vieux, tu as fait ton devoir. Mais, en analysant cette toile on a l’impression que Turner parle de lui-même, et de son propre déclin. Cette forte intensité qui ressort de la toile est peut-être à l’image des sentiments puissants qui traversent l’esprit du peintre qui ressent son propre déclin.

I. L’intensité du déclin

Inspiré par le Traité des couleurs (1810) de Goethe, Turner s’attache à respecter le triangle des couleurs. Le triangle des couleurs repose sur l’idée simple en apparence que la couleur est obscure. Partant, elle est un éclaircissement du noir. Cette approche vise à faire surgir une impression de jeu de couleur reposant sur les couleurs primaires : le jaune pour le soleil et le bleu pour la mer. Il y a « intensification » pour Goethe. Il y a une dynamique qui permet de faire surgir la vérité de la couleur.  C’est la recherche de cette intensification qui rend au tableau son harmonie. Turner est véritablement à son apogée. Les couleurs de la toile sont parfaites. Chaque partie de la scène est parfaite. La structure du tableau ne pourrait être plus réussie.

Sur le côté gauche de la toile on y compte cinq bateaux, et sur le côté droit seuls des éléments naturels sont présents. La dominante des couleurs est le bleu/jaune. La compression de ces couleurs rend une très forte intensité. La condensation des nuages avec le soleil domine la toile comme le haut du triangle des couleurs de Goethe. L’horizon n’a l’air guère avenant par obscurcissement du bleu sur un blanc très pâle. On a donc des couleurs froides à gauche, et à côté du Téméraire.

Le Téméraire est abandonné sur la gauche quand le déclin semble occuper tout l’espace de la toile. La beauté du bateau face au remorqueur vieilli.

II. Un tableau en forme d’adieu

L’adieu aux armes. C’est ainsi que Turner signe la fin de sa gloire. Il se sait en haut de sa gloire, donc il s’en va. Quelques années plus tard, vers 1846, le peintre se retire de la vie publique et prend un pseudonyme, Mr. Booth.

Aussi, ce tableau est une forme d’héritage. Il laisse une impression de très forte intensité, et de parfaite maîtrise des couleurs. Chaque partie de la toile est un savant dosage de stupeur, de richesse, et de subtilité. Cette coloration ocre, nacrée, atmosphérique, dans le parfait respect des prescriptions de Goethe va largement inspirer les impressionnistes.

On a pu qualifier Tuner de peintre des incendies tellement ses paysages devenaient aérien. Il n’en demeure pas moins un grand talent, et il fut considéré comme le précurseur de l’abstraction lyrique.

Une réflexion sur “Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) de J. M. W. Turner : l’intensité du déclin

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