Mr. Turner (film, 2014) : entre l’infini et rien, le ridicule.

Le biopic réalisé par Mike Leigh, Mr. Turner, sorti en 2014 est décevant. Il s’attache à présenter la partie la moins intéressante de la vie de Joseph Mallord William Turner, à savoir la fin. A cela s’ajoute le sous-emploi de Timothy Spall qui est engoncé dans un rôle de pure composition. On y voit un personnage qui bien qu’il soit un génie se comporte comme un misogyne du 19ème siècle.

Le film qui nous est donné à voir oscille entre l’infini et rien.

I. L’infini 

L’infini est bien sur présent tout du long du film. Il s’agit de l’Oeuvre de JMW Turner. Nous y voyons ses plus grandes toiles, ses plus grandes fresques. Son génie ressort de partout. Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il ressent, et tout ce qu’il peint est touché par une main divine.

Une fois de plus Le dernier voyage du téméraire (1839) se trouve pleinement glorifié. Il est là. Massif. Orgueilleux. Passé. Mais, on sent qu’en soit, il représente une oeuvre immense.

MrTurner_1

L’infini, c’est aussi ce travail de recherche sur la lumière. Le film est une véritable recherche sur la lumière qui éblouit, et rend honneur au travail du peintre. Mr. Turner

La lumière emporte le regard vers un horizon pictural nouveau. On ne sait plus si le film est l’oeuvre ou si l’oeuvre est le film. C’est prétentieux de la part du réalisateur de vouloir entrer dans une confusion pareille, mais c’est irréprochable. _MrTurner

II. Le rien

Le reproche le plus triste que l’on puisse adresser à ce film est de deux ordres :

A. Il est très difficile de commenter le film lui-même, car il est long (2h50), et qu’il ne dit pas grand chose. Si JMW Turner est une personnalité atypique, et que la haute société de Londres raillait son tempérament singulier, ce n’est pas cette succession de grimaces forcées qui le fait ressortir avec finesse.

B. C’est délicat de faire un film de paysage. Ceux qui réussissent cet exercice s’y prennent de façon modeste et éclairée. Il ne tentent pas de confondre leur caméra avec le pinceau du peintre comme cet image on le réalisateur se prend pour l’artiste. On peut comprendre que Mike Leigh se satisfasse de son oeuvre cinématographique, mais il doit comprendre qu’il nous blesse en nous servant un film décevant.

Mr.-Turner-

 

 

 

 

 

Entre l’infini de l’artiste, et le rien de la médiocrité, parfois, le ridicule vient se loger.

Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) de J. M. W. Turner : l’intensité du déclin

Quand on voit la toile Le Dernier Voyage du Téméraire (1839) peinte par Joseph Mallord William Turner (The Fighting Téméraire, tugged to her last berth to be broken) exposée à la National Gallery à Londres on ne peut être que pris par l’émotion. On y perçoit des couleurs splendides, des contrastes saisissants, une allégorie des vieux héros qui ont fait leur temps et qui doivent laisser la place. Il y a dans cette toile qui dit « place aux jeunes ». Turner considérait cette toile comme sa favorite.

JMW Turner

Dans d’autres toiles J. M. W. Turner s’intéressait à la révolution industrielle. Sur ce blog nous avons déjà eu l’opportunité de revenir sur la thématique de la sublimation esthétique du progrès technique chez le peintre dans l’une de ses toiles (cf. Pluie, vapeur, et vitesse : sublimation esthétique de l’âge industriel). Ce thème de la révolution industrielle se trouve également dans sa toile Staffa et Le château de Douvres.

Staffa

Or dans cette toile qui nous interroge, le peintre nous renvoie à la fin d’un monde – celui des batailles maritimes. Le navire de ligne HMS Téméraire est un vétéran de la bataille de Trafalgar entre l’Amiral Nelson et Napoléon. On a envie de lui dire : va au port vieux, tu as fait ton devoir. Mais, en analysant cette toile on a l’impression que Turner parle de lui-même, et de son propre déclin. Cette forte intensité qui ressort de la toile est peut-être à l’image des sentiments puissants qui traversent l’esprit du peintre qui ressent son propre déclin.

I. L’intensité du déclin

Inspiré par le Traité des couleurs (1810) de Goethe, Turner s’attache à respecter le triangle des couleurs. Le triangle des couleurs repose sur l’idée simple en apparence que la couleur est obscure. Partant, elle est un éclaircissement du noir. Cette approche vise à faire surgir une impression de jeu de couleur reposant sur les couleurs primaires : le jaune pour le soleil et le bleu pour la mer. Il y a « intensification » pour Goethe. Il y a une dynamique qui permet de faire surgir la vérité de la couleur.  C’est la recherche de cette intensification qui rend au tableau son harmonie. Turner est véritablement à son apogée. Les couleurs de la toile sont parfaites. Chaque partie de la scène est parfaite. La structure du tableau ne pourrait être plus réussie.

Sur le côté gauche de la toile on y compte cinq bateaux, et sur le côté droit seuls des éléments naturels sont présents. La dominante des couleurs est le bleu/jaune. La compression de ces couleurs rend une très forte intensité. La condensation des nuages avec le soleil domine la toile comme le haut du triangle des couleurs de Goethe. L’horizon n’a l’air guère avenant par obscurcissement du bleu sur un blanc très pâle. On a donc des couleurs froides à gauche, et à côté du Téméraire.

Le Téméraire est abandonné sur la gauche quand le déclin semble occuper tout l’espace de la toile. La beauté du bateau face au remorqueur vieilli.

II. Un tableau en forme d’adieu

L’adieu aux armes. C’est ainsi que Turner signe la fin de sa gloire. Il se sait en haut de sa gloire, donc il s’en va. Quelques années plus tard, vers 1846, le peintre se retire de la vie publique et prend un pseudonyme, Mr. Booth.

Aussi, ce tableau est une forme d’héritage. Il laisse une impression de très forte intensité, et de parfaite maîtrise des couleurs. Chaque partie de la toile est un savant dosage de stupeur, de richesse, et de subtilité. Cette coloration ocre, nacrée, atmosphérique, dans le parfait respect des prescriptions de Goethe va largement inspirer les impressionnistes.

On a pu qualifier Tuner de peintre des incendies tellement ses paysages devenaient aérien. Il n’en demeure pas moins un grand talent, et il fut considéré comme le précurseur de l’abstraction lyrique.