Analyse du film Les sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick : la guerre, les individus et les héros

Les sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick est tiré du roman de Humphrey Cobb Paths of Glory. Ce film nous ramène dans la violence de la première guerre mondiale de 1914 à 1918. C’est surement l’envie de Kirk Douglas de jouer le rôle du Colonel Dax qui a donné la confiance au studio de financer en partie le film.

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La guerre de 1914-1918 commence à s’enliser, et l’état-major décide de lancer une contre-offensive sur la colline aux fourmis qui a quasiment aucune chance d’aboutir. Cela ressemble terriblement à l’offensive du Général Nivelle dans le chemin aux dames qui coûta la vie à de nombreux soldats français en pure perte. Le 701ème régiment commandé par le Colonel Dax est repoussé par le feux allemand. Il se replie en base arrière.

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Le général Mireau qui est le stratège de ce plan d’attaque décide de faire exécuter des soldats tirés au sort pour les traduire devant un conseil de guerre pour procéder à leur exécution. Le général Mireau considère que ces soldats ont été lâches, et il veut en faire un exemple pour la suite. Le Colonel Dax s’y oppose fermement, et delà né un conflit entre les deux hommes. Trois hommes sont ainsi exécutés. Le Colonel Dax décide de s’expliquer avec le chef d’état-major, le général Broulard en lui apportant la preuve que le général Mireau a fait tirer sur sa propre armée en pleine offensive. Le général Broulard révoque le général Mireau et propose au Colonel Dax le poste de ce dernier.

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Le Colonel Dax qui est habité par l’idéalisme des justes refuse la proposition qui lui est faite.

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Le roman de Humphrey Cobb Paths of Glory (1935) a été rédigé au moment même où des soldats français exécutés pendant la guerre de 1914-1918 venaient d’être réhabilités.

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En France ce sont près de 2 000 soldats qui ont été fusillés pour l’exemple par l’armée pour avoir reculé sous le feu ennemi. Le général Revilhac est connu pour avoir fait tirer au sort des soldats de son régiment pour les exécuter. Dans l’absurdité de la guerre, des soldats ont même été réanimés pour les conduire au peloton d’exécution.

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Dans ce troisième film que réalise Stanley Kubrick, on peut noter l’utilisation de la caméra subjective qui amplifie l’intensité de la violence contre les soldats, le champ-contrechamp qui démultiplie les effectifs de soldats, des plans d’ensemble qui met en évidence l’horreur de la guerre. La caméra objective montre le champ de bataille pendant que la caméra subjective montre les soldats perdus dans les tranchées. On semble parfois être dans la peau d’un Fabrice Del Dongo sur les champs de batailles napoléoniens. Le jeune Fabrice semble presque étranger au spectacle qu’il contemple. Stendhal dans La chartreuse de Parme ne voit que du fatum dans l’esprit de Fabrice, contrairement au Colonel Dax qui s’est fait son jugement moral sur les événements dont il est le témoin. Le Colonel Dax semble d’ailleurs nous dire : pourquoi la guerre ?

Un film contre l’état-major français

Stanley Kubrick a voulu, à travers la tragédie de la violence, démontrer l’horreur de l’homme et l’absurdité de la logique militaire. L’état –major français durant la guerre de 1914-1918 a eu un comportement très critiquable, et critiqué. Ils ont mené une guerre où l’homme était la chair du canon. Le comportement de généraux comme Revilhac ou Nivelle a été fortement critiqué. Ils se sont comportés sans considération pour la vie des hommes qu’ils commandaient.

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C’est un film sur l’injustice. On ne voit jamais les soldats se battre les uns contre les autres. On voit des obus qui tantôt frappent une tranchée avec la force d’un éclair. L’injustice c’est la mort aléatoire des soldats, mais aussi le sort tragique de l’homme. L’ordre des soldats repose sur leur rapport à la mort et à leur faculté d’en faire abstraction.

Individus et lieux

Il y a une véritable volonté de Stanley Kubrick de jouer sur l’effet de contraste. Les militaires les plus gradés évoluent dans une ambiance de luxe. Ils vivent et travaillent dans un château. Leurs diners sont de très grandes factures. Ils semblent ne manquer de rien. Ils portent haut, et on sent qu’ils viennent dans milieu social favorisé.

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Cet effet de contraste est accentué par les plans très larges dans le château de l’État-major, et les plans serrés en travelling dans les tranchées pour les soldats. Le Colonel Dax qui dispose d’une grande chambre fait remarquer qu’elle est « petite » par rapport à celle des autres officiers supérieurs de l’État-major. Il est le seul officier supérieur à faire l’intermédiaire entre les deux mondes, et les deux espaces. Il parle aussi bien au général Broulard qu’aux soldats du rang. On sait qu’il est avocat. C’est un idéaliste. Le chef d’État-major est un cynique qui ne prend en compte que son intérêt propre. Le cynisme ne se retrouve qu’en haut lieu. Le Colonel Dax qui visite souvent les tranchées ne peut comprendre ce cynisme quand il est au prise avec cette réalité.

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Il y a une dissociation lieu/sentiment et lieu/individu. Cette effet d’opposition renforce la critique sociale et l’hypocrisie bourgeoise de la première guerre mondiale.

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Individus et héros

Les vrais héros du film sont ceux qui ont l’honneur de la caméra de Stanley Kubrick. Ce sont les soldats perdus dans la masse informe de la guerre. Ceux-là n’ont pas d’existence propre, ni de nom pour les nommer. Ce sont des individus et rien d’autre. Ils n’existent qu’en collectivité ; jamais pour eux. Cela ne fait rien au général Broulard ou au général Mireau de savoir qu’ils vont mourir. Ils pensent que ceux sont eux les héros, mais ils ne sont rien.

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Stanley Kubrick a bien voulu les montrer comme ils sont. Cela explique son jeu de caméra pendant toute la partie du film relative à l’offensive.

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Les sentiers de la gloire est un film sur les individus face à la guerre. Il s’agit de montrer une réalité sociale cruelle, mais qui a existé. Kirk Douglas avait dit à Stanley Kubrick que ce film n’allait pas rapporter d’argent, mais qu’il fallait faire. L’envie de Kirk Douglas de faire ce film avait donner la confiance au studio de réaliser le film. Ce fut le premier succès de Stanley Kubrick qui devint célèbre suite à ce film.

Analyse 2001, l’Odyssée de l’espace : circularité, technique et raison (2/3)

II. Circularité, technique et raison dans 2001, Odyssée de l’espace

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrivait Rabelais sur le nécessaire rapport de méfiance que l’homme doit entretenir avec la science. Le passage symbolique de l’os que tient à la main l’australopithèque qui se transforme en navette spatiale en est la meilleure illustration symbolique.

L'os et le vaisseau

L’os et le vaisseau

Le devenir de l’homme est-il nécessairement de chercher le progrès technologique ?

Il faut comprendre plusieurs chose avec le progrès :
– le progrès peut très bien se limiter à améliorer la qualité de notre vie en essayant de perfectionner des choses simples : les vaccins, le confort, la qualité de du son ou de l’image ;
– le progrès peut très bien être le perfectionnement du potentiel militaire ;
-le progrès technologique peut être de repousser les frontières : spatiales, technologiques, humaines.

Les scènes à l’intérieur de la navette internationale sont angoissantes, particulièrement dans un contexte de guerre froide. Le film a été tourné en 1967 pour être distribué en 1968.

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La navette est circulaire. Elle évolue dans un environnement lui-même circulaire puisqu’elle est entourée de planètes rondes. Plus intéressant encore, HAL 9000 – intelligence purement artificielle est présenté sous forme ronde et rouge, encerclé de d’une bande noire.

A/ La circularité inquiétante de l’Odyssée

L’Odyssée n’est pas une aventure. Elle suppose le retour au point de départ. Il ne s’agit pas d’une aventure de l’espace, mais d’une Odyssée. Le titre du film recèle cette circularité anaphorique du film : les planètes, la navette, la construction interne de la navette, HAL 9000 – tout semble rond.

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Pourtant, cette impression de rondeur est souvent brisé par un mouvement linéaire. C’est dans cette dualité que réside une autre partie de la réflexion de Kubrick.

Que veut dire la circularité chez Kubrick ?

Contrairement à ce que pense Shakespeare, l’Histoire a donc une logique chez Kubrick. L’auteur écrit : « raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et ne signifiant rien ». Ce qui n’est pas forcément dénué d’intérêt. Mais, chez Kubrick, on s’aperçoit que l’Histoire devient un objet d’étude, que l’Histoire se répète. Elle semble enfermée dans une logique plus grande qu’elle-même. Elle se répète, mais pas sous la même forme.

Le cercle c’est l’objet natal. Il s’oppose au monolithe, qui est l’objet créateur. Cette dualité est très prégnante chez Kubrick. Cette dichotomie est très claire : on voit le foetus sidéral encerclé par son alcôve céleste. On parvient à la fin du film et de l’Odyssée après un passage dans le mouvement stellaire. Celui-ci semble créer un nouveau cycle historique. Ce mouvement est rectiligne et non circulaire.

B/ HAL 9000 : l’Homme doit se penser en poète

En effet, Hal 9000 est un oeil, une pensée, un calculateur, et le prédicateur de l’avenir de l’Homme.

HAL 9000

HAL 9000

Nombre de commentaires ont été écrit sur HAL 9000. Il ne m’appartient pas de revenir dessus. On peut évoquer : la méfiance envers la technique, une réflexion glaçante sur l’avenir de l’Homme, la prise de contrôle de l’intelligence artificielle de la machine sur l’Homme. Certainement tout cela en même temps.

Néanmoins, quelque chose mérite d’être évoqué : c’est la tonalité de la voix de HAL 9000. Il s’exprime comme un enfant timide et autiste. Puis, dans ses réflexions se confondent une volonté de jouer à Dieu, et en même temps de se faire des amis. On dirait un enfant, puis un psychopathe. Le phrasé d’HAL 9000 vaut en réalité un long discours sur à quel point Kubrick avait peu de foi pour l’avenir de l’Homme sous l’influence de la technique.

Höderlin disait que l’Homme devait vivre en poète. Il doit aussi vivre en poète. HAL 9000 n’est pas le medium qui permet à l’Homme de communiquer avec une force supérieure; mais le fait que HAL 9000 soit à la fois un cercle et rectangle est une preuve de son antinomie. HAL 9000 est à la fois la vie et la mort. Il est le bourreau ou le sauveur. Il est celui sur qui toute l’expédition repose, et celui qui la fera échouer. C’est effrayant. Il semblerait donc que laissions notre avenir aux mains d’une entité que nous ne pourrions contrôler. Isaac Asimov a du apprécier.