Le défi de l’analyse chez Stanley Kubrick : comment lire l’enchaînement des tableaux dans Eyes Wide Shut ?

On le sait, Alice (Nicole Kidman) est directrice d’une galerie d’art à New York. Or, durant le film, dans chaque lieu où Bill Harford (Tom Cruise) se rend, on peut y trouver soit un enchaînement de tableaux, soit un mélange de couleurs. De là, il serait facile d’imaginer Alice comme directrice de l’univers symbolique des rêves et des fantasmes de son mari. Elle est au cœur de ce réseau pictural qui gouverne les impulsions de son mari. Celui-ci, perdu dans cet univers onirique est en réalité l’objet des fantasme de sa femme. On peut aussi se demander, si Alice ne rêve pas l’ensemble du film. En effet, elle se réveille à la fin du film avec le masque vénitien de son « supposé » mari à côté d’elle dans le lit supposé conjugal. Mais, chaque apparition de son mari reste ancré dans un univers proprement pictural. Comment lire cette série de portraits au gré de cette longue nuit de couple en crise ?

Le rêve et le tableau

Stanley Kubrick nous a habitué à une série de films qui reflètent un univers psychique, et une pensée philosophique de la pensée mentale. Dans Eyes Wide Shut, il va un degré plus loin. Il va à la recherche de la pensée à l’origine de la pensée. Si le couple et la sexualité sont l’illustration filmique et photographique de cette réflexion, il s’agit plus d’une recherche sur le déclenchement des événements.

Dans leur appartement, Stanley Kubrick nous fait voyager dans un univers impressionniste. Cela pose le décor d’un couple bourgeois, mais isolé dans un jardin évanescent où se mélange tour à tour univers réel, et nature sublimée. La peinture impressionniste permet d’insérer le doute sur cette réalité partagée entre Alice et Bill. Le rêve revient sans cesse, comme autant de tableaux qu’il reste à peindre. Aussi, à lire le déroulé d’Eyes Wide Shut, on comprend que ces tableaux pourraient être le reflet des humeurs de Bill. Chez lui, il se retrouve perdu dans un jardin représentant le péché originel.

Au Café Sonata, il est confronté à la complexité symbolique d’un Matisse. Art moderne qui tranche nettement avec l’impressionnisme de leur appartement. A l’hôpital, il est confronté à nouveau à une galerie de peintures qui cette fois renvoie à l’abstraction. Chez Ziegler (Sidney Polack), il est saturé d’une galerie de portraits.

Le symbole de la nature et du corps

Sans vouloir sur interpréter les images de Stanley Kubrick, on se rend bien compte d’une volonté de mélanger les corps, les rêves, les fantasmes, les dérives et la réconciliation en une seule image : celle d’un film. Pour opérer la liaison entre l’ensemble de ces concepts, le réalisateur passe par un autre médium : les tableaux. Ainsi, les tableaux permettent aux spectateurs d’avoir une sorte de quatrième mur, de décor supplémentaire qui définit la pensée des protagonistes.

Le fond du film repose sur l’acte sexuel qui ronge le bien être d’un couple face aux périples de la vie conjugale. Le premier plan du film où l’on voit de dos Alice en train de se déshabiller est une peinture. Il y a d’ailleurs un miroir et non pas un tableau dans cette scène. Cela tranche avec l’univers de son mari Bill qui est composé de tableaux. Alice est dans on double, et dans son fantasme vécu. Elle est en soi un tableau d’elle-même, elle est son propre double.

Où commence le rêve ? Ou commence le réel ? Qu’est-ce qu’un fantasme ? Stanley Kubrick manie les concepts avec dextérité dans cette Odyssée spectaculaire où les thèmes centraux de son œuvre son présent.

Le smoking pour femmes d’Yves Saint Laurent, origines d’un mythe

7563752saint-laurent-smoking-fminintailleur-saint-laurent-femmeyves-saint-laurent-pierre-berge-l-amour-fou_3Le smoking pour femmes de Yves Saint Laurent est un grand point d’interrogation dans la mode française. Lorsqu’il présente ce vêtement lors de sa collection automne-hiver de 1966, les commentateurs de l’époque sont partagés sur ce bouleversement des codes vestimentaires pour la femme. Depuis, le smoking griffé Yves Saint Laurent s’est imposé comme un classique, et un incontournable du créateur. Lors de son dernier défilé haute couture, Laetitia Casta et Catherine Deneuve entourent le créateur habillées en smoking. Ils sont tous les trois en smoking, et cette image marque la fin d’un cycle de création iconique. Comment expliquer que le smoking soit devenu le symbole d’un style alors que Saint Laurent voulait a priori juste habiller la femme autrement ?

Pourquoi le smoking pour les femmes ?

Au début des années 1960, les femmes portent régulièrement le jabot, et les hommes vêtissent le smoking ou l’habit pour sortir le soir. La vie nocturne parisienne des années 60 n’est pas comparable avec ce qu’elle est devenue depuis. Les artistes sortaient dans les cabarets, et les soirées de Saint Germain des près étaient très animées. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, et la démocratisation de la nuit parisienne, on ne trouve guère d’artistes, et ceux-ci se cachent désormais à l’étranger. Le smoking au début des années 1960 est le symbole de toute une vie nocturne autour de la scène artistique parisienne. Yves Saint Laurent est de toutes les fêtes, et de tous les excès. Il voit déjà les envies de transgression à la fois chez les hommes, et chez les femmes. Ce nouveau désir de liberté bouscule les codes. Yves Saint Laurent s’en empare.

En avance sur son temps

Yves Saint Laurent est en avance sur les commentateurs, et les critiques. Le milieu artistique de cette époque salue le smoking pour femmes. À juste titre, puisque le smoking leur est dédié. De nombreuses personnalités s’emparent de suite du smoking Saint Laurent : Françoise Hardy, Hanaé Mori, Bianca Jagger, Liza Minelli, Lauren Bacall et Loulou de la Falaise par exemple sont les premières à porter ce nouvel habit. Il devient un incontournable des soirées parisiennes, et rapidement des socialite du monde entier. A New York, à Londres, mais aussi dans les soirées huppées du monde entier, le smoking Yves Saint Laurent est devenu l’habit de reconnaissance d’un certain milieu. Ce milieu s’identifie à Yves Saint Lauren, et à son style. Beaucoup sont des amis d’Yves Saint Laurent, et ils suivent ses tendances.

Le succès

Dans sa boutique Rive Gauche, Yves Saint Laurent connaît le succès immédiat avec son smoking. Le smoking est un succès de prêt à porter et non en haute couture. Le smoking devient l’emblème d’une mode, et d’un style, celui de Saint Laurent. Tous les jours, de nouvelles clients se pressent dans sa boutique de la place Saint Sulpice à Paris pour acheter son smoking. Cet habit est devenu celui des femmes qui veulent gagner en influence. Longtemps vécu comme un habit de la domination masculine, le smoking devient l’emblème de la femme signé Yves Saint Laurent.

Analyse de « L’affaire dit du Lotus » du 7 septembre 1927, Cour permanente de Justice internationale

L’affaire dit du « Lotus » a été l’objet d’un arrêt de la Cour permanente de Justice Internationale (C.P.J.I) le 7 septembre 1927de nombreux commentaires par la doctrine internationaliste. L’arrêt porte principalement sur les compétences des États en matière de droit international maritime. Nous sommes dans un contexte antérieur à la Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982 qui règle les problèmes en matière de compétences juridictionnelles en matière d’abordage. En effet, l’arrêt dit du « Lotus » concerne tant la France que la Turquie dans un cas de collision entre navires suivi d’un abordage.

Faits

Dans la nuit du 2 août 1926, deux navires, un français, et un turc naviguent à destination de Constantinople. Le navire français, le Lotus, aborde le navire turc, le Boz-Kourt, en méditerranée. Ce navire se brise en mer, et au cours de l’abordage, presque une dizaine de marins turcs meurent. Le navire français sauve des marins turcs, et se rend à Constantinople avec eux.

Le 15 août, le capitaine français est arrêté par les autorités, et le 15 septembre il est condamné par les tribunaux turcs à cause des dommages subis par les turcs.

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Points de droits

Deux problèmes juridiques distincts, bien que similaires, se posent dans la présente espèce. La France a, en effet, protesté auprès de la Turquie en faisant valoir que le capitaine du Lotus était de nationalité française, et qu’à ce titre, la Turquie ne disposait d’aucune compétence juridictionnelle en la matière pour juger des actes commis par l’équipage. La France soutenait une compétence pénale objective qui était de nature purement territoriale. De fait tout autre Etat était exclu. La Turquie opposait également que sa compétence objective, du fait de la nationalité des victimes de l’abordage.

Aussi, il était demandait à la CPJI :

Comment résoudre les conflits de compétences territoriales entre États ?
Comment s’attribue cette compétence ?

Solution du litige

La CPJI a estimé que la compétence juridictionnelle et territoriale turque était fondée, car « il n’existe pas de règle en droit international relative aux cas d’abordage, qui réserverait les poursuites pénales à la compétence exclusive de l’État ». Le droit international n’a pas été violé par les autorités turques qui pouvaient légitimement arrêter le capitaine de l’équipage.

Le principe d’exclusivité territoriale prohibe de façon assez nette toute action visant à contraindre l’action d’un État sur un autre État. Si tout ce qui n’est pas expressément interdit est par nature autorisé, la compétence des autorités turques était conforme au droit international. Le principe de compétence universelle s’est appliqué tout d’abord dans la coutume internationale aux actes en haute mer.

L’article 97 de la Convention de Montego bay de 1982 a posé une règle de compétence juridictionnelle en matière d’abordage :

1. En cas d’abordage (…)en haute mer qui engage la responsabilité pénale ou disciplinaire du capitaine ou de tout autre membre du personnel du navire, il ne peut être intenté de poursuites pénales ou disciplinaires que devant les autorités judiciaires ou administratives soit de l’État du pavillon, soit de l’État dont l’intéressé a la nationalité.
[…] 3. Il ne peut être ordonné de saisie ou d’immobilisation du navire, même dans l’exécution d’actes d’instruction, par d’autres autorités que celle de l’État du pavillon.

Pourquoi la robe Mondrian ?

En 1965, Yves Saint Laurent présente lors de la collection automne-hivers 1965 une robe dite « Hommage à Mondrian ». Cela fait à peine trois années que le créateur a ouvert sa propre maison, et ce défilé va le rendre célèbre dans le monde entier. On l’appelle le « roi de Paris ». Il est de toutes les soirées, de toutes les mondanités, et du tout Paris. Il est vrai que durant toute sa carrière artistique, Yves Saint Laurent a revendiqué que la couture était un art appliqué, et qu’il cherchait à donner un contenu proprement artistique à ses créations. Il décide d’utiliser des inspirations diverses : des peintres ou des villes par exemple. Les créations d’Yves Saint Laurent vont puiser leur origine chez Delacroix, Ingres, Vermeer, Van Gogh et Braque. Des lieux, et des voyages imaginaires sont aussi une source précieuse de création : la Chine, le folklore russe, l’Afrique et le Tyrol autrichien.

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La robe Braque a connu un certain succès, de même que la collection de robes Bambara a eu un véritable retentissement. Yves Saint Laurent est connu pour son smoking, la robe saharienne ou le tailleur pantalon. Mais, ces créations n’ont rien de comparable avec le charme de la robe Mondrian. Pourquoi ?

Le contexte

Le milieu des années 1960 ce sont les années fondatrices de la maison Saint Laurent, et de la nouvelle vision conceptuelle de la femme qu’il développe. Il décide de prendre les codes en sens inverse. Il veut choquer, et casser cette vision étriquée de la mode pour milliardaire. Ces créations seront simples, et pourront être portées par une femme qu’il veut incarner et moderne. On le sent au regard, cette femme aura les cheveux en carré, et elle travaillera. Elle fumera, et sera libre. Cette robe Mondrian elle semble manifester ce désir nouveau d’une modernité enfin assumée par la mode. À l’image d’une société engoncée qui change, le créateur se veut porteur d’une vision différente.

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En 1966, Yves Saint Laurent donne vie à la collection Pop’Art en « Hommage à Andy Warhol ». Mais, cette collection est noyée par les autres pièces sur Lichtenstein et Wesselmann. Cette année-là, l’élément marquant de la carrière d’Yves Saint Laurent, c’est l’ouverture de sa boutique rive gauche et surtout son premier smoking. L’année suivante, en 1967, la collection dite africaine s’inspire de matériaux rarement utilisés dans la mode, à savoir le bois, le raphia, les coquillages ou les perles. Cette mode semble faire moins mode. De même la collection Pop’Art semble faire moins mode qu’art. L’univers de ces artistes est tellement puissant et connu du grand public, qu’il n’y a pas de traces du génie d’Yves Saint Laurent. En voyant des motifs inspirés d’Andy Warhol, les acheteurs préfèrent acheter des toiles plutôt que des robes.

La magie de la robe Mondrian, c’est que Saint Laurent l’a faite sienne. Il a dépossédé le peintre à son profit. Chaque créateur s’inspire des tendances, de l’art du moment et des couleurs de ses voyages, mais là le talent de Saint Laurent a été d’exhumer un artiste déjà décédé depuis 20 ans, et de reprendre ce qui a fait sa force.

Puissance visuelle et simplicité des codes

Pieter Mondrian est connu pour être un pionnier de l’abstraction utilisant un langage abstrait pour faire surgir sa vision de l’univers et de l’infini. Dans cette mouvance on retrouve les peintres russes Kandinsky et Malevitch. Mondrian a cherché à faire parler une vérité désolée en poussant l’épuration des lignes jusqu’à une forme de transcendance du paysage. Cette abstraction minimale suit un chemin géométrique simple, des lignes épurées, et des couleurs identifiables. Cette simplicité des codes va rejaillir dans une très forte puissance visuelle et un style personnel inimitable.

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Il écrit début 1914 à son ami Bremmer : « Je crois qu’il est possible, grâce à des lignes horizontales et verticales construites en pleine conscience, mais sans ‘‘calcul’’, suggérées par une intuition aigüe et nées de l’harmonie et du rythme, que ces formes fondamentales de la beauté, complétées au besoin par d’autres lignes droites ou courbes, puissent produire une œuvre d’art aussi puissante que vraie ». Il s’agit pour Mondrian de faire apparaître « une beauté générale ».

À partir de 1920 Mondrian souhaite s’abstraire de toute réalité matérielle au profit de l’essence du sujet étudié. Il revient à l’état primaire de la nature : les droites, les angles, le rouge, le bleu et le jaune. Il se sert du noir comme d’un liant pour structurer géométriquement ses œuvres. On entre ainsi dans une conception spirituelle de l’art où les formes donnent çà voir une vérité absolue. En jouant sur les variations et les différentes épaisseurs de trait, c’est la vie qui est mise en scène sur ses toiles. En jouant sur ces nuances, il raconte l’histoire de la vie, des hommes et des femmes, mais aussi de l’univers et de la mort. Ces nouvelles idées picturales et artistiques vont se nommer le néo-plastique.

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En analysant la robe Mondrian on retrouve les artifices qui ont fait le succès de du peintre.

La forme de la robe interpelle. Elle n’est pas engoncée. Elle est sobre. Elle n’est pas prétentieuse. En comparant avec des robes dessinées et conçues la même année, elle tranche par son modernisme radical. Les angles droits, les couleurs simples, la géométrie à l’œuvre apportent une connotation très chic à la robe. Elle porte une très forte identité visuelle.

Elle est devenue un classique de la couture car cette simplicité apparente cache une puissance visuelle très forte. Et cette puissance visuelle a rendu cette robe unique. La force de l’abstraction, c’est qu’il s’agit avant tout d’une représentation de l’univers et que chacun peut s’en faire son propre avis. Quand on la voit, on a envie de l’acheter et de la porter. Et cette magie qui opère n’est pas totalement rationnelle.