Analyse du film « Le mépris » de Jean-Luc Godard (1963) : une histoire vulgaire et banale, un chef d’oeuvre (2/2)

II. Un chef d’oeuvre : éléments d’explication

Pour l’instant, il ressort de l’oeuvre de Jean-Luc Godard, que le Le mépris est le film que l’on retient le plus facilement avec A bout de souffle. Mais, il est surtout très aboutit dans son genre. D’une part, on y retrouve la musique de Georges Delerue, le générique parlé, les fesses de Brigitte Bardot, la voix de Jack Palance, la figure de Fritz Lang, ainsi que la présence même de Jean-Luc Godard comme l’assistant de Fritz Lang, tout concorde pour faire surgir une oeuvre surprenante.

A/ La musique de Georges Delerue

Quelle vie surprenante pour cet homme qui est né à Roubaix de mourir à Los Angeles après avoir composé pour les plus grands de François Truffaut à Ennio Morricone. La musique qu’il compose pour Le mépris demeure un air mondialement connu qui a surement contribué à rendre le film de Jean-Luc Godard célèbre. D’ailleurs, en 1995, la musique sera reprise pour devenir le thème du film Casino de Martin Scorsese. Cet air  reste associé à la mélancolie et l’expression d’un sentiment profond de changement dans la vie des protagonistes qui jouent.

B/ Les fesses de Brigitte Bardot véritable création de la femme

Vadim avait tenté d’offrir à Brigitte Bardot son rôle de premier plan. Il voulait faire d’elle une image d’une certaine femme et d’une certaine époque, mais sans lui rendre sa superbe. Louis Malle avait également tenté dans Vie Privée de lui donner une certaine allure sans y parvenir.

Si un jour Brigitte Bardot doit devenir une icône quand elle sera morte, elle le sera à l’image dece que Jean-Luc Godard l’aura fait. C’est lui qui a véritablement créé Brigitte Bardot, c’est lui qui lui a rendu sa vérité.

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Comment ne pas voir dans Brigitte bardot une femme nouvelle et qui a été créée par son réalisateur ?

Elle restera ainsi.

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C/ Fritz Lang, l’homme au coeur du film, la figure mythique vivante de Jean-Luc Godard

Sans Fritz Lang, il est certain que Jean-Luc Godard n’aurait pas pu faire le film qu’il désirait. Il n’aurait pas pu aller au bout de son oeuvre. Il le place dans le rôle d’une figure tutélaire et mythique au-dessus des hommes  et de leurs contingences. Paul et Camille ont leurs problèmes de couple, Jérémy Prokosch est obsédé par l’argent et sa puissance, mais Fritz Lang est obsédé par l’art. C’est lui donne au film sa vertu et son sens, et la direction de l’oeuvre même de Jean-Luc Godard qui cherche à démontrer le manifeste par lequel il entend réaliser des films.

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En jouant l’assistant de Fritz Lang, Jean-Luc Godard explique où il se situe par rapport à son maître. Cela ne veut pas dire qu’il se sent inférieur à lui, mais qu’il se voit dans son sillon.

En conclusion, il convient de voir dans Le mépris un chef d’oeuvre atypique. C’est le manifeste de Jean-Luc Godard aux choses de la vie, et à celles qui l’intéresse profondément. L’art, l’amour, la vie, en réalité de quoi d’autre pourrions parler ?

Analyse du film « Le mépris » de Jean-Luc Godard (1963) : une histoire vulgaire et banale, un chef d’oeuvre (1/2)

I. Le mépris, un sentiment poétique d’un instant

Le mépris est un film de Jean-Luc Godard sorti en 1963. Jean-Luc Godard va transformer une historie banale, voire vulgaire, en transformant la narration habituelle du film hollywoodien, en intellectualisant le moment de la rupture amoureuse, en donnant une dimension mythologique à l’homme, et humaine aux dieux à travers la figure de Fritz Lang. Au-delà de ces thématiques, la mise en scène, les costumes, le lieu, et les dialogues sont une mise en abîme du cinéma sur lui-même.

D’abord, il s’agit d’un film sur le cinéma. Il y a une opposition frontale entre le cinéma hollywoodien, et la nouvelle esthétique proposée par Jean-Luc Godard. Il y a une séparation intellectuelle entre le film lui-même qui bouscule les schémas classiques de mise en scène pour interpeller le spectateur, et ce que propose Jérémie Prokosch (Jack Palance) en tant que représentant de la production cinématographique hollywoodienne. La double narration de la bande d’annonce en est le meilleur exemple. La voie d’une femme et celle d’un homme qui répète le même texte à la façon d’automate nous plonge dans une atmosphère singulière et même mal alésante.

Ensuite, un long flot parcourt le film à la façon d’une odyssée certes, mais aussi à la façon d’une unité où les lieux, les personnes, les symboles, et les dialogues sont indifférents les uns aux autres pour mieux donner à chuan une force propre. Une fois de plus, la bande d’annonce frappe par la force qui est donnée à des mots très simples : la tristesse, le revolver, l’écran.

Ainsi, Le mépris entre dans la catégorie des essais épistémologique et poétique. Beaucoup ont essayé de voir dans cette mise en scène la fin de la structure développée par Aristote dans Les poétiques. Sans entrer dans ces considérations techniques d’harmonie des lieux, des textes et des personnages, la dimension proprement mythologique bouleverse le champ de la narration, de la communication et renverse le sentiment amoureux. Il s’agit de montrer sur un film, un moment qui intervient en l’espace d’un instant, celui où Camille cesse d’aimer Paul. C’est ce sentiment qui vît tout du long du film.

A/ L’intellectualisation de la rupture amoureuse

Le film raconte d’abord l’historie d’un sentiment qui naît, et qui va se produire l’espace d’un instant : celui de la rupture amoureuse. Au commencement, il y avait cette passion qui surgit de façon très sensuelle dans la scène introductive : celle où Camille est allongée nue, demandant à recevoir l’amour de Paul.

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– « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » A qui s’adresse-t-elle en prononçant cette question ? Cette image est plus une interpellation, une provocation qu’une question. Le doute lentement qui entre dans le couple bien avant que ce soit le mépris. Il y a ici du vulgaire, et de la provocation. Le génie de Jean-Luc Godard, c’est de laisser la scène complètement occupée par une Camille nue tout du long de l’écran. Il n’y a pas besoin de dialogue, juste une image. La puissance de l’image en oeuvre. Il y a du génie dans cette audace.

Mais, le film prend du relief en se déplaçant, de la chambre vers les studios de cinecitta. Des studios de cinecitta vers la villa Malaparte à Capri.

 

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Le scénario de Moravia tient dans cette intertextualité présentée à l’écran entre le film L’odyssée, les personnages principaux le tout sous la figure de Frtiz Lang. Cette densité provoque une intellectualisation qui permet au film de prendre une dimension différente de façon à permettre au mépris de surgir.

B/ La dimension mythologique de l’homme

Dans ce monde en ruine, dans cette mythologie dont Fritz Lang apparaît comme l’homme orchestre, l’homme prend une dimension totale et une apparence à l’image des dieux.

 

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Les hommes deviennent les acteurs d’une odyssée qui les dépasse, et s’égarent un noeud sentimental qui semblent organiser par des forces qui les dépassent.

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Dans la poésie d’Homère, à l’image de la figure d’Achille, les femmes sont associées, à la souffrance, l’amour à la mort, et l’homme à la solitude.

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Ici, le retour sera sans cesse, éternel et trompé. Le mépris commence son chemin quand, la figure mythologique tombe,quand Paul abandonne la quête de Camille ne serait-ce que l’espace d’une balade en voiture.

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C/ Des dieux humains, mais figés dans une temporalité perdue

Les Dieux deviennent eux aussi des figures immobiles, des hommes perdus ans un lieu qui les dépasse, et face à un horizon qu’ils ne peuvent plus maîtriser.

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Ces statues figées, elles représentent le cinéma classique. Elles évoquent les héros d’un temps passé qu’il convient de dépasser. Elles jouent un rôle important tant dans L’odyssée de Fritz Lang que dans Le mépris de Jean-Luc Godard. Elles ont une double signification puisqu’elles renvoient à cette figure déchue de l’homme, et d’un certain cinéma. En combinant cette idée avec celle du couple Camille /Paul qui prend une dimension mythologique, on comprend que l’un est l’équivalent de l’autre.Image

Ce cinéma qui meurt, il ressemble à ce couple qui se perd pour finir détruit. Comme tout mythe.