Analyse 2001, l’Odyssée de l’espace ou la déclaration universelle de la pensée de l’homme (3/3)

III. De la vie, et de la mort : la déclaration universelle de l’homme

A/ La naissance intellectuelle de l’homme

Souvent, en regardant le film de Kubrick, je ne peux m’empêcher de me dire que peu d’évènements auront eu autant de conséquences sur mon esprit. J’avais l’impression non pas d’assister à un film, mais d’être le spectateur unique de la plus impressionnante dissertation de philosophie. Mais, une dissertation philosophique d’un type unique, puisque pour la première fois j’avais l’impression de témoigner de la première dissertation universelle de philosophie. En réalité, il serait plus juste de qualifier « 2001, l’Odyssée de l’espace » de déclaration universelle de pensée de l’homme. Souvent, le cinéma est le prétexte pour raconter une histoire, ou un point de vue. Il peut également être affirmatif. Le cinéaste peut être objectif, subjectif, sentimental, talentueux, médiocre ou prestataire. Rarement, le cinéma est-il philosophique.

La philosophie antique est fondée sur l’étude de la physique, de l’éthique et de la raison logique. Ces trois angles d’analyse avaient pour cadre une cosmogonie qui visait à sortir l’homme du mythe, et de transformer des tributs en civilisation. En ce sens, une grande force constructrice de l’humanité réside dans l’opposition de la tribut et de la civilisation. La civilisation s’oppose à la tribut comme la nature à la culture ou la le sexe avec l’amour. Pour sortir de l’oeuvre mythologique, la pensée philosophique a construit la science. Et à cette époque, la science n’était pas divisée en sciences humaines et en sciences dures. Cette scission contemporaine a réduit le champ du possible, et rendu presque impossible toute grande oeuvre intellectuelle dans le cadre de l’université. En réalité, il n’y a pas de séparation entre la physique ou la logique, encore moins entre la physique et l’éthique. Les pythagoriciens analysaient comme une même chose le développement arithmétique avec la musique. La partition musicale est avant tout une oeuvre de logique, qui elle-même a une dynamique physique et éthique. Parménide et Aristote sont issus du courante des atomistes qui désignait l’étique comme science principale devant la physique. Kubrick ne l’ignore pas. Personne ne sait qu’elle fut sa connaissance de la philosophie classique ou naturaliste de l’Antiquité, mais il semble dans tous les cas la comprendre ou la deviner. Plus fort encore, il la met en perspective avec la philosophie romantique du XIXème siècle. Le nihilisme dont il fait preuve fait montre d’un pessimisme catégorique sur l’homme et le sens de la vie. L’influence de Nietzsche est ici très claire. Mais, il a fait de la philosophie sans le savoir. En revenant à l’aube de l’humanité, il a montré la naissance de la science, et de l’homme.

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Il y a un lien organique de l’homme à sa terre qui fait que notre rapport physique à la nature est plus mystique que complexe. Pourquoi filmer un australopithèque qui casse des restes de carcasse avec un tibia ossifié, si ce n’est pour signifier l’avènement de la pensée humaine. La beauté du premier chapitre de « 2001, l’Odyssée de l’espace » réside dans ce monde sans Dieu. Ce monde sans Dieu est effrayant car il n’est pas civilisé. D’ailleurs, il n’y a pas de dialogues ou de musique.

B/ Le voyage de l’homme après Dieu

Le voyage dans l’espace de l’homme constitue pour ainsi dire la plus grande partie du film de Kubrick. Ce voyage se fait par-delà la terre, dans l’univers. Par-delà l’univers, vers Jupiter. Et, par-delà Jupiter, dans l’inconnu absolu. Ce voyage est à la fois sans but organiser, et construit autour de l’idéologie. L’univers semble ôter l’homme de sa dimension mystique. Dieu n’est déjà plus. Dieu semble cantonner à l’habitacle terrestre. Il n’est qu’une émanation intellectuelle de l’éthique antique. Saint Augustin qui donnera naissance à la philosophie chrétienne est influencé par Platon. Mais, la philosophie chrétienne tue la philosophie antique et ralenti le temps. Comme à l’aube de l’humanité, le monolithe noir apparaît pour donner une explication, sans que celle-ci soit parfaitement satisfaisante, mais si elle a l’apparence de la perfection et de l’unité.

Ce voyage de l’homme se poursuit dans un univers où les réponses ne sont plus mystiques ou scientifiques. Elles sont immanentes d’un univers dont on ignore tout. L’univers devient psychédélique. Il est fluorescent. Il est grotesque et effrayant. Personne ne sait en réalité à quoi ressemblerait une accélération d’une navette dans l’espace.

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En réalité, ce qui est surprenant pour Kubrick, c’est le rôle de l’idéologie. On oublie le contexte politique des années 1960. Mais, il s’agit d’un monde suspendu à la guerre froide. L’année 1968 fut l’une des plus violentes après 1945. En arrivant sur la navette orbitale, on parle russe et anglais. La Pan Am à côté de l’URSS. Les deux idéologies survivent à Dieu.

C/ L’homme ne meurt pas

L’homme est attaché à un lieu : la terre. Il est attaché à l’écorce terrestre, et il faut le croire ne pourra survivre bien longtemps ailleurs. A quoi ressemblerait l’homme perdu dans les étoiles, les astres et les galaxies. Nous ne sommes heureux que quand nous sommes dans notre berceau fondamental, le lieu où nous sommes mis au monde. Naître, comme vivre, n’est pas anodin. Cela se fait sur son lieu de naissance. Il est bien difficile de naître, vivre et mourir ailleurs.

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Dans ces couveuses de l’espace, l’homme perdu face à une destinée qu’il ne maîtrise plus. Sous l’oeil implacable d’HAL 9000, il ne peut que mourir. Son destin est perdu. Il ne sait plus qu’il n’est déjà plus un homme, mais un corps de l’espace. Il croit qu’il part civiliser, mais il corrompt sa destinée. Il part à la recherche de réponses, quand il ne trouvera que plus de questions. Il ne trouvera jamais son créateur s’il croît que Dieu est mort ou n’a jamais été. Il devra se résigner à croire à la contingence des astres qui ont rendu possible l’eau, l’atmosphère et la vie. Delà, l’homme est sorti pour changer l’univers, et non le contraire.

Analyse 2001, l’Odyssée de l’espace : circularité, technique et raison (2/3)

II. Circularité, technique et raison dans 2001, Odyssée de l’espace

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » écrivait Rabelais sur le nécessaire rapport de méfiance que l’homme doit entretenir avec la science. Le passage symbolique de l’os que tient à la main l’australopithèque qui se transforme en navette spatiale en est la meilleure illustration symbolique.

L'os et le vaisseau

L’os et le vaisseau

Le devenir de l’homme est-il nécessairement de chercher le progrès technologique ?

Il faut comprendre plusieurs chose avec le progrès :
– le progrès peut très bien se limiter à améliorer la qualité de notre vie en essayant de perfectionner des choses simples : les vaccins, le confort, la qualité de du son ou de l’image ;
– le progrès peut très bien être le perfectionnement du potentiel militaire ;
-le progrès technologique peut être de repousser les frontières : spatiales, technologiques, humaines.

Les scènes à l’intérieur de la navette internationale sont angoissantes, particulièrement dans un contexte de guerre froide. Le film a été tourné en 1967 pour être distribué en 1968.

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La navette est circulaire. Elle évolue dans un environnement lui-même circulaire puisqu’elle est entourée de planètes rondes. Plus intéressant encore, HAL 9000 – intelligence purement artificielle est présenté sous forme ronde et rouge, encerclé de d’une bande noire.

A/ La circularité inquiétante de l’Odyssée

L’Odyssée n’est pas une aventure. Elle suppose le retour au point de départ. Il ne s’agit pas d’une aventure de l’espace, mais d’une Odyssée. Le titre du film recèle cette circularité anaphorique du film : les planètes, la navette, la construction interne de la navette, HAL 9000 – tout semble rond.

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Pourtant, cette impression de rondeur est souvent brisé par un mouvement linéaire. C’est dans cette dualité que réside une autre partie de la réflexion de Kubrick.

Que veut dire la circularité chez Kubrick ?

Contrairement à ce que pense Shakespeare, l’Histoire a donc une logique chez Kubrick. L’auteur écrit : « raconté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et ne signifiant rien ». Ce qui n’est pas forcément dénué d’intérêt. Mais, chez Kubrick, on s’aperçoit que l’Histoire devient un objet d’étude, que l’Histoire se répète. Elle semble enfermée dans une logique plus grande qu’elle-même. Elle se répète, mais pas sous la même forme.

Le cercle c’est l’objet natal. Il s’oppose au monolithe, qui est l’objet créateur. Cette dualité est très prégnante chez Kubrick. Cette dichotomie est très claire : on voit le foetus sidéral encerclé par son alcôve céleste. On parvient à la fin du film et de l’Odyssée après un passage dans le mouvement stellaire. Celui-ci semble créer un nouveau cycle historique. Ce mouvement est rectiligne et non circulaire.

B/ HAL 9000 : l’Homme doit se penser en poète

En effet, Hal 9000 est un oeil, une pensée, un calculateur, et le prédicateur de l’avenir de l’Homme.

HAL 9000

HAL 9000

Nombre de commentaires ont été écrit sur HAL 9000. Il ne m’appartient pas de revenir dessus. On peut évoquer : la méfiance envers la technique, une réflexion glaçante sur l’avenir de l’Homme, la prise de contrôle de l’intelligence artificielle de la machine sur l’Homme. Certainement tout cela en même temps.

Néanmoins, quelque chose mérite d’être évoqué : c’est la tonalité de la voix de HAL 9000. Il s’exprime comme un enfant timide et autiste. Puis, dans ses réflexions se confondent une volonté de jouer à Dieu, et en même temps de se faire des amis. On dirait un enfant, puis un psychopathe. Le phrasé d’HAL 9000 vaut en réalité un long discours sur à quel point Kubrick avait peu de foi pour l’avenir de l’Homme sous l’influence de la technique.

Höderlin disait que l’Homme devait vivre en poète. Il doit aussi vivre en poète. HAL 9000 n’est pas le medium qui permet à l’Homme de communiquer avec une force supérieure; mais le fait que HAL 9000 soit à la fois un cercle et rectangle est une preuve de son antinomie. HAL 9000 est à la fois la vie et la mort. Il est le bourreau ou le sauveur. Il est celui sur qui toute l’expédition repose, et celui qui la fera échouer. C’est effrayant. Il semblerait donc que laissions notre avenir aux mains d’une entité que nous ne pourrions contrôler. Isaac Asimov a du apprécier.

Analyse 2001, l’Odyssée de l’espace : matérialisation spectaculaire de la métaphysique nietzschéenne (1/3)

I. Le monolithe noir : matérialisation physique et concrète d’une réalité inexplicable

2001, l’Odyssée de l’espace (2001, A Space Odyssey) est un film réalisé par Stanley Kubrick; sorti en salles en 1968. De façon schématique, et arbitraire, le réalisateur retrace l’évolution de l’espèce humaine depuis l’apparition d’une tribu d’australopithèques jusqu’à l’apparition d’un foetus sidéral, acteur à part entière du système galactique.

Le monolithe noir est certainement la trouvaille la plus curieuse du film. Car si l’on a coutume de le nommer monolithe, en réalité il est bien loin d’un réel monolithe naturel. Ce monolithe est une plaque noire unie. Le monolithe n’est en aucun cas le fruit de la nature, mais celui d’une intelligence supérieure qui nous dépasse. En effet, on peut remarquer de suite trois choses concernant ce monolithe noir : d’abord, il apparaît spontanément, sans que quiconque en est décidé autrement ; ensuite, il transforme le dessein humain ; enfin, il demeure une source profonde d’interrogations pour les contemplateurs de l’oeuvre.

A/ La simple présence du monolithe met en déroute la pensée humaine

Le monolithe noir n’est pas sans rappeler la chouette de minerve dont parle Hegel dans sa Préface des Principes de la Philosophie du Droit. Il explique que « La philosophie vient toujours trop tard », qu’en somme « La chouette de minerve ne prend son envol qu’au crépuscule ». Le monolithe s’installe au moment où l’humanité commence son Odyssée.

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Le mot Odyssée est plus représentatif de la réalité du voyage que s’apprête à prendre l’homme. Son envol au travers de l’évolution est le début de son déclin. A la manière de l’oiseau de raison dans le Zarathoustra de Nietzsche. Cette référence nihiliste est présente dans l’intégralité du film de Stanley Kubrick. A la manière de Nietzsche, le réalisateur utilise la théorie nihiliste pour montrer le « par delà » l’homme, et son dépassement inéluctable.

Ce monolithe met ainsi en déroute la pensée humaine, et le spectateur du film. En cherchant à comprendre où l’on se situe dans la chronologie historique, on comprend que l’on se situe déjà dans le « par delà » l’Histoire. Celle-ci est déjà presque finie à la fin de la première partie sur « L’Aube de l’humanité ». La puissante onde radioélectrique émise par le monolithe peu de temps après sa manipulation par le Dr Floyd signe l’entrée dans un nouveau chronos.

A l’image de la chouette de Minerve, la déesse de la sagesse qui naquit dans le crâne de Zeus, son père, le destin de l’homme s’attache à ce monolithe dont il est pourtant étranger. Comme la chouette prend son envol au crépuscule, l’homme avance sans comprendre son destin dans l’espace profond, celui qui va au-delà de Jupiter.

B/ La réponse à la question philosophique : la connaissance et le monolithe

Hegel mettait en lien une dialectique de la connaissance avec la vérité pour faire surgir l’immanence de la Raison. Dans cette quête d’humilité de la Raison, et de l’Etre, il devenait impossible de faire surgir les réponses au questionnement métaphysique sans une ruse de l’Histoire. Cela pousse les hommes à s’éloigne du divin. Dans cette longue Odyssée à travers le Temps, l’Histoire et l’Espace qui devient une seule et même chose – à savoir l’Univers, l’Homme part à la conquête de ses réponses. L’expérience n’est ici qu’un moyen de parvenir à la Vérité, à la perfection, et de retrouver le sens de l’existence humaine.

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L’esthétique de Kubrick ne cherche pas à expliquer un moment historique, elle cherche à rester fidèle à son image personnelle du questionnement philosophique. Sans chercher à rentrer d’ailleurs dans un raisonnement pratique, il cherche à faire surgir les réponses au travers du monolithe noir.

Ce monolithe devient la source de la perfection créatrice, oeuvre d’une puissance qui nous reste inexplicable. Il ne s’agit même plus de la technique, mais d’une oeuvre « par delà » la technique. Elle fascine les australopithèques, comme l’homme de l’espace, et apparaît comme réponse unique et singulière à l’homme avant son ultime mutation en foetus sidéral. En dernier Homme.

C/ Le dernier Homme, le monolithe et l’éternel retour

Comme par justification théorique, l’éternel retour est un concept théorique visant à donner une explication ontologique à la volonté de puissance par Nietzsche. Comment comprendre cet Eternel Retour chez Kubrick ?

Le nihilisme n’est pas ici un symptôme faiblesse face à l’absurdité de l’existence. Dans cette conception, l’être ne peut pas exister puisque l’Univers est toujours dans un mouvement non fini. La mécanique céleste n’a pas encore commencé. La volonté de puissance est l’oeuvre conceptuelle réunissant quantité de force de l’univers en devenir. Dieu est l’exutoire d’une impasse théorique quand celle-ci se présente face à l’univers fini.

Penser l’Eternel Retour, c’est croire en l’état maximal de la puissance humaine. C’est assumer pour en soi et pour soi toutes les conséquences du surhomme. Croire en l’Eternel Retour, c’est croire aux cycles qui composent l’activité humaine – philosophique, historique, scientifique. L’existence est justifiée ou son devenir, ce qui revient au même. Il n’y a plus besoin d’évaluation morale de la nature humaine.

Le monolithe noire met en déroute la pensée humaine traditionnelle. Kubrick n’opère pas dans un schéma naturel. Il donne à voir une interprétation du sens de l’existence humaine et de son devenir. Sur terre comme primate, dans l’espace, derrière l’espace puis par delà le temps lui-même.

Le dernier homme

Le dernier homme

Ce dernier homme entrain de mourir dans sa chambre semble chuchoter :

« Comment ? était-ce la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois ! »

Et répondre :

« Je reviendrais, avec ce soleil et cette terre, avec cet aigle et ce serpent, – non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie ou une vie ressemblante ; – à jamais je reviendrais pour cette même et identique vie, dans le plus grand et aussi bien le plus petit, pour à nouveau de toutes choses enseigner le retour éternel – » (Ainsi parlait Zarathoustra)

Alors qu’il est plongé dans le pas final vers la mort. La main implorant de vivre, surgit ce bébé sidéral, ce foetus stellaire, l’intelligence incarnée, ou la réponse à nos questions. Le devenir, et le futur, le passé et le présent, le rien face au tout – il n’y a plus de lieu, plus de temps, plus de réalité concrète, mais un bébé face à la terre. Conclusion ontologique à une question métaphysique.