Analyse 2001, l’Odyssée de l’espace : matérialisation spectaculaire de la métaphysique nietzschéenne (1/3)

I. Le monolithe noir : matérialisation physique et concrète d’une réalité inexplicable

2001, l’Odyssée de l’espace (2001, A Space Odyssey) est un film réalisé par Stanley Kubrick; sorti en salles en 1968. De façon schématique, et arbitraire, le réalisateur retrace l’évolution de l’espèce humaine depuis l’apparition d’une tribu d’australopithèques jusqu’à l’apparition d’un foetus sidéral, acteur à part entière du système galactique.

Le monolithe noir est certainement la trouvaille la plus curieuse du film. Car si l’on a coutume de le nommer monolithe, en réalité il est bien loin d’un réel monolithe naturel. Ce monolithe est une plaque noire unie. Le monolithe n’est en aucun cas le fruit de la nature, mais celui d’une intelligence supérieure qui nous dépasse. En effet, on peut remarquer de suite trois choses concernant ce monolithe noir : d’abord, il apparaît spontanément, sans que quiconque en est décidé autrement ; ensuite, il transforme le dessein humain ; enfin, il demeure une source profonde d’interrogations pour les contemplateurs de l’oeuvre.

A/ La simple présence du monolithe met en déroute la pensée humaine

Le monolithe noir n’est pas sans rappeler la chouette de minerve dont parle Hegel dans sa Préface des Principes de la Philosophie du Droit. Il explique que « La philosophie vient toujours trop tard », qu’en somme « La chouette de minerve ne prend son envol qu’au crépuscule ». Le monolithe s’installe au moment où l’humanité commence son Odyssée.

2001_monolithe

Le mot Odyssée est plus représentatif de la réalité du voyage que s’apprête à prendre l’homme. Son envol au travers de l’évolution est le début de son déclin. A la manière de l’oiseau de raison dans le Zarathoustra de Nietzsche. Cette référence nihiliste est présente dans l’intégralité du film de Stanley Kubrick. A la manière de Nietzsche, le réalisateur utilise la théorie nihiliste pour montrer le « par delà » l’homme, et son dépassement inéluctable.

Ce monolithe met ainsi en déroute la pensée humaine, et le spectateur du film. En cherchant à comprendre où l’on se situe dans la chronologie historique, on comprend que l’on se situe déjà dans le « par delà » l’Histoire. Celle-ci est déjà presque finie à la fin de la première partie sur « L’Aube de l’humanité ». La puissante onde radioélectrique émise par le monolithe peu de temps après sa manipulation par le Dr Floyd signe l’entrée dans un nouveau chronos.

A l’image de la chouette de Minerve, la déesse de la sagesse qui naquit dans le crâne de Zeus, son père, le destin de l’homme s’attache à ce monolithe dont il est pourtant étranger. Comme la chouette prend son envol au crépuscule, l’homme avance sans comprendre son destin dans l’espace profond, celui qui va au-delà de Jupiter.

B/ La réponse à la question philosophique : la connaissance et le monolithe

Hegel mettait en lien une dialectique de la connaissance avec la vérité pour faire surgir l’immanence de la Raison. Dans cette quête d’humilité de la Raison, et de l’Etre, il devenait impossible de faire surgir les réponses au questionnement métaphysique sans une ruse de l’Histoire. Cela pousse les hommes à s’éloigne du divin. Dans cette longue Odyssée à travers le Temps, l’Histoire et l’Espace qui devient une seule et même chose – à savoir l’Univers, l’Homme part à la conquête de ses réponses. L’expérience n’est ici qu’un moyen de parvenir à la Vérité, à la perfection, et de retrouver le sens de l’existence humaine.

2001

L’esthétique de Kubrick ne cherche pas à expliquer un moment historique, elle cherche à rester fidèle à son image personnelle du questionnement philosophique. Sans chercher à rentrer d’ailleurs dans un raisonnement pratique, il cherche à faire surgir les réponses au travers du monolithe noir.

Ce monolithe devient la source de la perfection créatrice, oeuvre d’une puissance qui nous reste inexplicable. Il ne s’agit même plus de la technique, mais d’une oeuvre « par delà » la technique. Elle fascine les australopithèques, comme l’homme de l’espace, et apparaît comme réponse unique et singulière à l’homme avant son ultime mutation en foetus sidéral. En dernier Homme.

C/ Le dernier Homme, le monolithe et l’éternel retour

Comme par justification théorique, l’éternel retour est un concept théorique visant à donner une explication ontologique à la volonté de puissance par Nietzsche. Comment comprendre cet Eternel Retour chez Kubrick ?

Le nihilisme n’est pas ici un symptôme faiblesse face à l’absurdité de l’existence. Dans cette conception, l’être ne peut pas exister puisque l’Univers est toujours dans un mouvement non fini. La mécanique céleste n’a pas encore commencé. La volonté de puissance est l’oeuvre conceptuelle réunissant quantité de force de l’univers en devenir. Dieu est l’exutoire d’une impasse théorique quand celle-ci se présente face à l’univers fini.

Penser l’Eternel Retour, c’est croire en l’état maximal de la puissance humaine. C’est assumer pour en soi et pour soi toutes les conséquences du surhomme. Croire en l’Eternel Retour, c’est croire aux cycles qui composent l’activité humaine – philosophique, historique, scientifique. L’existence est justifiée ou son devenir, ce qui revient au même. Il n’y a plus besoin d’évaluation morale de la nature humaine.

Le monolithe noire met en déroute la pensée humaine traditionnelle. Kubrick n’opère pas dans un schéma naturel. Il donne à voir une interprétation du sens de l’existence humaine et de son devenir. Sur terre comme primate, dans l’espace, derrière l’espace puis par delà le temps lui-même.

Le dernier homme

Le dernier homme

Ce dernier homme entrain de mourir dans sa chambre semble chuchoter :

« Comment ? était-ce la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois ! »

Et répondre :

« Je reviendrais, avec ce soleil et cette terre, avec cet aigle et ce serpent, – non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie ou une vie ressemblante ; – à jamais je reviendrais pour cette même et identique vie, dans le plus grand et aussi bien le plus petit, pour à nouveau de toutes choses enseigner le retour éternel – » (Ainsi parlait Zarathoustra)

Alors qu’il est plongé dans le pas final vers la mort. La main implorant de vivre, surgit ce bébé sidéral, ce foetus stellaire, l’intelligence incarnée, ou la réponse à nos questions. Le devenir, et le futur, le passé et le présent, le rien face au tout – il n’y a plus de lieu, plus de temps, plus de réalité concrète, mais un bébé face à la terre. Conclusion ontologique à une question métaphysique.

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