Le roman entre imagination et réalité

Le roman doit-il privilégier l’imagination ou décrire la réalité ?

L’opposition traditionnelle entre le roman de genre fantasmé et le roman naturaliste qui se contente de restituer au monde sa propre réalité ne peut suffire à épuiser le contenu du travail de l’écrivain. L’écrivain peut décider de s’inspirer de faits imaginés pour décrire fidèlement une réalité sociale, de même que d’un fait réel, il peut décider de passer dans le registre imaginatif. Le respect d’un cadre spatio-temporel cohérent avec des personnages fictifs, c’est en partie le sens du roman naturaliste. L’œuvre d’Émile Zola sur les Rougon-Macquart se déroule durant le second Empire à Paris, mais l’ensemble de l’œuvre est fantasmée. Cette tension entre l’écriture et l’écrivain a été la source d’une réflexion profonde pour déterminer comment entre la « langue » et le « style » on pouvait tenter de comprendre l’acte quasi physiologique qui témoigne de l’insertion de l’écrit dans une œuvre. Cette opération qui permet de restituer à l’écrivain sa vocation, et à la littérature sa substance, est à l’origine de l’œuvre de Roland Barthes. Dans Le degré zéro de l’écriture, on sent tant la force intellectuelle du critique que du sémiologue, qui va chercher la part de la création et de l’imagination dans l’écrit. L’écrivain naturaliste aurait renoncé à décrire la réalité en exhibant le réel, de même le roman mythologique, au sens imaginatif du terme, est incomplet « sans passer par aucune des figures de l’Histoire ou de la sociabilité ». Faut-il pour autant renoncer à expliquer que « L’écriture du roman » est tout à la fois faussement évidente sans fabulation crédible (I), évidemment fausse sans réalité fabulée ? Comment alors rendre au roman son « degré zéro » (II) ou l’imagination et la réalité se retrouve pour éviter le sabordage du roman naturaliste que craint Roland Barthes ?

I. L’écriture du roman doit privilégier une fabulation crédible

Roland Barthes va tenter de répondre au roman naturaliste qu’il accuse de sabordage. Il démontre la naissance de la mauvaise conscience de l’écrivain au 19ème siècle qui devient en réalité celui qui dénature la réalité. Le roman naturaliste est confronté à un paradoxe qu’il lui est difficile de résoudre théoriquement : d’une part, il dit « je suis la littérature », tout en prétendant rendre au monde sa réalité, alors que d’autre part, il ne part pas à la reconquête du vivant en donnant à voir sa vérité. Le lecteur est donc perdu avec la certitude d’un monde sans utopie, et où la littérature ne réconcilie pas le vivant et l’imaginé. Ce débat théorique a été parfaitement matérialisé par les structuralistes. Dans deux articles « La mort de l’auteur » de Roland Barthes et « Qu’est-ce qu’un auteur ? » de Michel Foucault, les deux structuralistes tentent de répondre à une question : quelle est l’intention de l’auteur ? Roland Barthes pense que l’on ne peut pas répondre à cette question. Il prend pour exemple Sarrasine d’Honoré de Balzac. Dans ce texte, un castrat est amoureux de Sarrasine. Il délire sur sa féminité, et devient obsédé par son image. En prenant le texte comme imaginé et figuratif, peut-on dire qui du castrat ou de Balzac s’exprime sur elle. Michel Foucault voit dans cette absence de distanciation la mort de l’auteur consacré ou tout son travail est œuvre : de la correspondance aux brouillons. Avec la mort de l’auteur, son travail devient œuvre quand il le décide.

Le travail de fabulation crédible devient nécessaire pour rendre à l’œuvre son caractère d’œuvre et dépasser la pensée de son auteur. L’écrivain ne s’appartient pas pourtant. Le nom d’un écrivain lui sert pour être le désigné. En trouvant un fragment écrit de l’auteur même s’il n’avait pas l’intention de le publier, celui-ci devient son œuvre. Le « je » c’est l’auteur lui-même, et le travail de narration prend toute son importance quand le roman naturaliste ne semble vouloir être que langage. C’est en creux la pensée exprimée par Paul Valéry dans Tel quel : « Quand l’ouvrage a paru, son interprétation par l’auteur n’a pas plus de valeur que toute autre par qui que ce soit… Mon intention n’est que mon intention, et l’œuvre est l’œuvre ».

Aussi, l’œuvre romanesque doit privilégier un travail de fabulation crédible pour ne pas se contenter des lacunes supposées ou réelles du naturalisme critiquée par les structuralistes. Cela ouvre le champ du roman qui réconcilie réalité et imagination.

II. Le retour au degré zéro de l’écriture en réconciliant imagination et réel

Les représentations des effets du réel dans l’œuvre des écrivains ne sont pas vaines. Elles cherchent à inscrire le lecteur dans un univers réel. Que ce soit chez Victor Hugo, Balzac ou Zola, les longues descriptions qui s’enchaînent ont un double effet. D’abord, en les multipliant ils renforcent l’importance de leur propos. La description de la pension Vauquier dans le Père Goriot renforce l’image de cupidité. De même la description du logis de l’évêque dans Les misérables permettent de mieux restituer la grâce de son geste, puis la rédemption de Jean Valjean.

Dans S/Z pour Sarrasine et Zambinella, Roland Barthes va vraiment tenter de réconcilier l’imagination et la réalité, puis trancher la question de savoir quelle direction privilégiée. Il analyse chez Balzac cinq codes différents qu’il nomme des « lexies » qui vont former la trame de sa pensée, sans forcément correspondre à son intention réelle. En procédant par l’apport d’autres sciences comme la linguistique, la psychanalyse, la philosophie ou la sociologie, Roland Barthes va interpréter les éléments significatifs du roman balzacien. Il voit ainsi comment à travers le drame de la castration, l’auteur noue le contact avec son lecteur. En l’interpellant par l’émotion, il le fait entrer dans le champ littéraire. Il utilise des notions venues de la psychanalyse lacanienne comme le code « sémique » ou le code « sémiotique ». Il resitue ainsi l’intensité du drame et par l’intermédiaire du récit explique que le symbole du castrat offre un miroir au lecteur. La passion du mutilé, et l’intensité de l’amour déçu coupe le roman de sa dimension supérieure et offre une intensité inégalable permettant au lecteur d’être renvoyé à sa propre condition.

Même si le monde du roman est souvent simplifié et symbolique, le roman devient tantôt masque, et tantôt révélation pour le lecteur. L’art de l’écrivain est dans son œuvre, et dans son code. La symbolique acquiert une dimension ontologique, et le langage devient le bien sacré qui permet de rendre le réel par l’imaginaire ou l’imagination par le réel, selon que l’un ne se confonde pas avec l’autre.

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